Peu avant 8H00 (05H00 GMT), les forces de l'ordre en tenue antiémeute ont repris le contrôle manu militari de la place emblématique du centre de la mégapole turque, repoussant quelques dizaines de protestataires qui y avaient passé la nuit en tirant plusieurs salves de grenades lacrymogènes et en utilisant des canons à eau.
Immédiatement, des dizaines de jeunes gens casqués et équipés de masques à gaz ont refait leur apparition derrière les barricades érigées dans les rues environnantes et ont riposté par des jets de pierre et de cocktails Molotov.
"Nous allons nous battre, nous voulons la liberté. Nous sommes des combattants de la liberté", a déclaré à l'AFP l'un d'entre eux, Burak Arat, 24 ans, qui a passé la nuit dans le parc Gezi, ce petit jardin public dont la destruction annoncée a donné le coup d'envoi le 31 mai à la fronde antigouvernementale qui agite aujourd'hui toute la Turquie.
La police s'est jusque-là contentée d'occuper Taksim mais n'est pas intervenue dans le parc, où les centaines de militants qui l'occupent ont été réveillés, incrédules, par l'intervention des forces de l'ordre, ont constaté des journalistes de l'AFP. "Notre intention est d'ôter les pancartes et les dessins sur la place. Nous n'avons pas d'autre objectif", a assuré le gouverneur d'Istanbul, Hüseyin Avni Mutlu, sur son compte Twitter. La police s'est adressée aux occupants du parc par mégaphones pour leur confirmer qu'elle n'entrerait pas dans le parc.
Les forces de l'ordre avaient quitté la place Taksim le 1er juin, après vingt-quatre heures presque ininterrompues d'affrontements violents avec des centaines de manifestants, ameutés par les réseaux sociaux pour dénoncer la brutalité avec laquelle la police avait évacué le parc Gezi à l'aube du 31 mai.
Plusieurs centaines de militants associatifs l'occupaient depuis plusieurs jours pour dénoncer l'arrachage des 600 arbres du parc dans le cadre d'un projet contesté d'aménagement de la place Taksim.
Fermeté
Depuis le retrait de la police, la place Taksim a accueilli tous les soirs des milliers de personnes, certains jours des dizaines de milliers, qui exigent la démission du chef du gouvernement islamo-conservateur, accusé de dérive autoritaire et de vouloir "islamiser" la société turque.
La reprise, symbolique, de la place Taksim intervient au lendemain de l'annonce d'une rencontre, prévue mercredi, entre M. Erdogan et des représentants de la contestation, qu'ils a présentés à longueur de discours comme des "pillards" ou des "extrémistes". "Notre Premier ministre a donné rendez-vous à certains des groupes qui organisent ces manifestations", a déclaré lundi soir le vice-Premier ministre Bülent Arinç à l'issue du conseil des ministres, "notre Premier ministre écoutera ce qu'ils ont à dire".
En même temps que ce premier geste concret d'apaisement du chef du gouvernement, M. Arinç avait ajouté que "les manifestations illégales ne (seraient) plus tolérées en Turquie", ouvrant la porte à l'intervention de mardi matin.
Dimanche, M. Erdogan avait nettement durci le ton en multipliant les harangues publiques contre les manifestants, devant des milliers de partisans de son Parti de la justice et du développement (AKP) .
"Ceux qui ne respectent pas le parti au pouvoir dans ce pays en paieront le prix", a lancé le dirigeant turc à Ankara à une foule chauffée à blanc. "Si vous continuez comme ça, j'utiliserai le langage que vous comprenez parce que ma patience a des limites". Sûr du soutien d'une majorité de Turcs, le Premier ministre a adopté un ton très ferme depuis le début de la crise, en renvoyant les contestataires aux élections municipales de 2014 pour exprimer leur mécontentement.
En 2011, son Parti de la justice et du développement (AKP), issu de la mouvance islamiste, avait recueilli 50% des suffrages.
Son intransigeance a valu à M. Erdogan de nombreuses critiques dans le monde entier, notamment de la part de son allié américain, de l'Union européenne (UE) et des organisations de défense des droits de l'Homme, qui ont dénoncé le recours excessif à la force par la police turque.
Selon le dernier bilan publié vendredi par le syndicat des médecins turcs, trois personnes, deux manifestants et un policier, sont morts et près de 5.000 blessées, dont plusieurs dizaines très grièvement, depuis le début des manifestations.