Turquie: le parti d'Erdogan prend une revanche éclatante et retrouve sa majorité absolue


Lundi 2 Novembre 2015 - 16:49
AFP


Le parti du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan a remporté haut-la-main les élections législatives de dimanche en Turquie et réussi, contre tous les pronostics, son pari de reprendre la majorité absolue qu'il avait perdue il y a cinq mois.


Sur la base de la quasi-totalité des bulletins dépouillés, le Parti de la justice et du développement (AKP) a recueilli 49,2% des suffrages et raflé 316 des 550 sièges de députés, ont annoncé les chaînes NTV et CNN-Türk.

Ce résultat sonne comme une revanche éclatante pour M. Erdogan, 61 ans. Le 7 juin, son parti avait perdu le contrôle total qu'il exerçait depuis treize ans sur le Parlement et remisé son rêve d'instaurer une "superprésidence" à sa main dans le pays.

L'homme fort du pays avait toutefois reconvoqué des élections anticipées, persuadé de pouvoir renverser les résultats.

"Aujourd'hui est un jour de victoire", s'est réjoui le Premier ministre sortant et chef de l'AKP, Ahmet Davutoglu, dans son fief de Konya (centre). "Aujourd'hui il n'y a pas de perdants mais que des gagnants", a-t-il toutefois ajouté en tendant la main à ses rivaux.

Autre surprise de la soirée, le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), qui avait fait son entrée triomphale au Parlement en juin dernier, n'y a sauvé sa place que d'extrême justesse. Avec un score de 10,4% au niveau national, il a tout juste franchi le seuil nécessaire pour être représenté sur les bancs.

Cette incertitude a provoqué de brefs affrontements en soirée entre forces de l'ordre et jeunes militants kurdes à Diyarbaki, la grande ville du sud-est à majorité kurde de la Turquie, ont constaté des journalistes de l'AFP.

r Plusieurs dizaines de manifestants ont tiré des coups de feu en l'air et érigé des barricades de pneus enflammés devant le siège local du HDP. "Si le HDP reste sous les 10%, ce sera la guerre", a lancé l'un d'eux.

- 'Peur de l'instabilité' -

La police a dispersé la foule avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau.

Selon les résultats partiels, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) arrivait en deuxième place avec 24,5% des voix, suivi du Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) avec près de 12%, tous deux en fort recul par rapport à juin.

La quasi-totalité des sondages avant le scrutin ne créditaient l'AKP que de 40 à 43% des intentions de vote, un score insuffisant pour gouverner seul.

"Je suis complètement effondré mais ces résultats signifient que le peuple s'accommode très bien de la situation actuelle", a réagi Sevim, un étudiant en droit de l'université d'Istanbul. "Le peuple a le gouvernement qu'il mérite".

"La peur de l'instabilité en Turquie, ajoutée à la stratégie d'Erdogan se posant en +homme fort qui peut vous protéger+ l'ont emporté", a pour sa part commenté l'analyste Soner Cagaptay, du Washington Institute, sur son compte Twitter.

Dans un climat de tensions marqué par la reprise du conflit kurde et la menace jihadiste venue de Syrie, MM. Erdogan et Davutoglu se sont posés en seuls garants de l'unité et de la sécurité du pays sur le thème "l'AKP ou le chaos".

"Cette élection était nécessaire à cause du résultat incertain du scrutin du 7 juin", a encore plaidé dimanche M. Erdogan en votant en famille à Istanbul. "Il est évident combien la stabilité est importante pour notre pays", a-t-il ajouté.

Depuis l'élection du 7 juin, le climat politique s'est considérablement alourdi en Turquie.

- 'Nous croyons en lui' -

En juillet, le conflit armé qui oppose depuis 1984 les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) aux forces de sécurité turques a repris dans le sud-est à majorité kurde du pays, et enterré le fragile processus de paix engagé il y a trois ans.

"La violence du PKK semble avoir beaucoup coûté au HDP et porté Erdogan à la victoire", a regretté l'ancien député CHP Aykan Erdemir.

L'attaque suicide perpétrée il y a trois semaines à Ankara par deux kamikazes proches du groupe Etat islamique (EI), qui a fait 102 morts, a en outre ravivé dans le pays la peur de la violence jihadiste venue de Syrie.

Cette dégradation de la situation sécuritaire inquiète de plus en plus les alliés occidentaux d'Ankara, à commencer par l'Union européenne (UE), confrontée à un flux croissant de réfugiés, pour l'essentiel syriens, en provenance de la Turquie.

Face au discours du pouvoir, les rivaux de M. Erdogan avaient appelé les électeurs à sanctionner sa dérive autoritaire, illustrée cette semaine encore par un raid spectaculaire de la police contre le siège de deux chaînes de télévision proches de l'opposition.

"Il se voit comme le chef religieux d'un califat", avait raillé avant le scrutin le chef de file du HDP Selahattin Demirtas. "Certains veulent rétablir le sultanat dans ce pays, ne les y autorisez pas !", avait exhorté son homologue du CHP, Kemal Kiliçdaroglu.

Longtemps salué comme l'homme du miracle économique turc, le chef de l'Etat est, depuis les émeutes de Gezi en 2013, dénoncé pour ses manières fortes.

Mais il reste très populaire dans le pays. "Nous croyons en lui, nous lui faisons confiance et, avec l'aide de Dieu, nous pouvons tout réussir", s'est réjoui Yasin Aslan, un des partisans en liesse dans les rues d'Istanbul. "Mon coeur battra pour l'AKP jusqu'au bout", a renchéri Cemile Bayrak, une femme voilée de 40 ans.


           

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