Turquie: les chefs du principal parti prokurde en détention


Vendredi 4 Novembre 2016 - 17:17
AFP


Les chefs du principal parti prokurde de Turquie ont été placés vendredi en détention préventive, quelques heures après leur arrestation par les autorités, qui semblent franchir une nouvelle étape dans les purges menées tous azimuts depuis le putsch avorté de juillet.


L'arrestation des coprésidents du Parti démocratique des peuples (HDP), Selahattin Demirtas et de Mme Figen Yüksekdag, et de onze autres députés de cette formation, a suscité des réactions indignées en Occident, dont les relations avec la Turquie sont déjà tendues en raison des atteintes aux libertés reprochées au pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan.

Peu après l'arrestation des coprésidents du HDP, dans la nuit de jeudi à vendredi, un attentat a frappé un bâtiment de la police à Diyarbakir, "capitale" du sud-est turc à majorité kurde, faisant neuf morts, dont deux, policiers et plus de cent blessés, selon un dernier bilan de source officielle.

L'attentat a été mené au moyen d'une voiture piégée. Il a été attribué par le Premier ministre Binali Yildirim au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation classée "terroriste" par Ankara, Washington et Bruxelles.

La décision de placer les deux chefs du parti, ainsi que de trois autres élus arrêtés, en détention préventive a été prise dans l'après-midi par un tribunal de Diyarbakir, dans le cadre d'une enquête "antiterroriste" liée au PKK, selon l'agence progouvernementale Anadolu.

Le HDP, deuxième parti d'opposition en Turquie, a estimé dans un communiqué que les arrestations marquaient "la fin de la démocratie" dans le pays.

Les Etats-Unis sont "profondément troublés" par la détention des élus prokurdes, a écrit sur twitter Tom Malinowski, chargé des droits de l'Homme au département d'Etat.

La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, s'est pour sa part dite "extrêmement inquiète" et indiqué qu'elle allait convoquer une réunion des ambassadeurs de l'UE à Ankara. Berlin a annoncé avoir convoqué le chargé d'affaires turc et le porte-parole de la chancelière Angela Merkel a jugé ces arrestations "hautement alarmantes".

Parmi les députés arrêtés figurent, outre les deux chefs, des poids lourds du parti comme Idris Baluken, président du groupe parlementaire HDP, lui aussi formellement placé en détention provisoire.

"C'est un coup d'Etat contre le HDP, c'est un coup d'Etat contre le pluralisme, contre la diversité, contre l'égalité", a déclaré Garo Paylan, un député du HDP, lors d'une conférence de presse au quartier-général stambouliote du parti.

"On nous claque la porte du Parlement au nez, cela veut dire ignorer le vote de six millions de personnes, ignorer la demande démocratique de ce peuple, leur espoir quant à une paix future", a renchéri sa collègue Huda Kaya.

- Réseaux sociaux au ralenti -

A Ankara, des dizaines de manifestants solidaires du HDP ont été dispersés par les forces de l'ordre à l'aide des gaz lacrymogènes, a constaté un photographe de l'AFP.

L'accès aux réseaux sociaux et à des applications de messagerie était fortement perturbé vendredi, quelques heures après l'arrestation des élus kurdes.

La plate-forme de surveillance TurkeyBlocks a indiqué avoir "détecté des restrictions d'accès à plusieurs réseaux sociaux dont Facebook, Twitter et YouTube à partir de vendredi à 01H20 (22H20 GMT jeudi)".

Après les arrestations et l'attentat, la livre turque, déjà fragilisée par des turbulences politiques majeures, a atteint un nouveau plancher historique face au dollar vendredi. En baisse de 1,25% à la mi-journée, la devise s'échangeait à 3,15 livres turques contre un dollar, un niveau plus bas que celui enregistré au lendemain du putsch manqué.

Le week-end dernier, les deux maires de Diyarbakir ont été placés en détention et une douzaine de médias prokurdes ont été fermés par décret.

Ces mesures ont aggravé les tensions dans le sud-est du pays, ensanglanté par des combats quotidiens entre le PKK et les forces de sécurité depuis la rupture, à l'été 2015, d'un fragile cessez-le-feu, qui a sonné le glas du processus de paix pour mettre un terme à un conflit ayant fait plus de 40.000 morts depuis 1984.

Le président Erdogan considère que le HDP est étroitement lié au PKK et a fait savoir qu'il ne considérait plus cette formation comme un interlocuteur légitime.

En mai, le Parlement turc a voté la levée de l'immunité des députés menacés de poursuites judiciaires, une mesure contestée visant notamment les élus du HDP.

Sous l'impulsion de M. Demirtas, le HDP a élargi sa base électorale au-delà de la seule communauté kurde de Turquie (15 millions de personnes) et s'est transformé en un parti moderne, à la fibre sociale, ouvert aux femmes et à toutes les minorités.


           

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