«Je n’aurais jamais imaginé que notre armée puisse nous tirer dessus», confie à Anadolu Yusuf Ciftci, qui a été blessé par balles ce fameux soir.
Dans la nuit du 15 au 16 juillet, Ankara a été le théâtre, d’une tentative de coup d'Etat, commanditée par un petit groupe putschiste de l’armée appartenant à l’organisation de Fethullah Gülen, appelée aussi FETO.
Les soldats putschistes avaient alors tenté de bloquer les deux ponts du Bosphore et essayé de prendre d’assaut le district de sûreté et quelques médias officiels et privés.
Apprenant la prise du pont du Bosphore (aujourd’hui rebaptisé « Pont des Martyrs du 15 juillet"), Ciftci avait décidé spontanément de se rendre sur place.
« A ce moment-là, je n’imaginais pas un seul instant que les militaires étaient des traitres », explique, ce père de famille de deux enfants.
La tentative de prise du pont du Bosphore a été la plus symbolique et la plus meurtrière. Elle a fait 34 morts sur un total de 250 victimes, selon un bilan officiel.
Ce soir là, Ciftci et son meilleur ami avaient roulé vers le lieu de la rébellion dès le début de la prise mais impossible pour eux d’avancer jusqu’au pont car déjà, les citoyens par milliers, avaient investi les rues, raconte le rescapé.
« Nous avons alors décidé de laisser notre voiture à quelques centaines de mètres du pont pour continuer à pied. A ce moment là nous avons entendu les coups de feu mais nous ne réalisions toujours pas la gravité de la situation », poursuit-il.
« A 80 mètres du pont, nous avons commencé à essuyer des tirs lancés par des armes lourdes. J’ai vu tomber les personnes une par une », se souvient-il.
Chaque fois qu’il se rappelle cette scène, Ciftci a « la gorge qui se noue ». « Une première balle m’a effleurée mais j’ai essayé de porter assistance à des gens bien plus blessés que moi », confie-t-il.
Et Ciftci de poursuivre : «Nous n’avions aucun moyen de nous défendre. Nous avions seulement nos drapeaux dans les mains. Pourtant, les militaires n’hésitaient pas à nous tirer dessus», explique le jeune assistant de direction.
Au bout de longues minutes, se souvient-il, plusieurs renforts sont arrivés sur le pont à bord de bus. « C’était surtout des étudiants de l’Académie Militaire », ajoute-t-il.
Aujourd’hui encore, la polémique autour de ces étudiants est loin d’être terminée. Pour certains, ces étudiants n’étaient au courant de rien et étaient censés être là « pour un entrainement ».
Or, Yusuf Cetin, est catégorique: « J’ai eu une discussion avec un des leurs chefs, je lui ai supplié d’arrêter. Je lui ai dit qu’il massacrait des civils mais il n’a rien voulu savoir ».
« Nous avons vu un soldat étudiant blessé dans le bus, nous lui avons proposé de l’emmener à l’hôpital. Il a accepté et nous avons renvoyé par ambulance ce soldat mais malgré notre aide et notre bonne volonté, le chef en uniforme, nous a demandé de partir. Quand nous avons refusé, il a commencé à tirer en l’air. Dès qu’il n’avait plus de munitions, il a pris une arme de longue portée et l’a pointé sur ma tête », dit-il, la voix tremblante.
Après un moment de silence, il reprend « Il n’a pas hésité à tirer. Mais une personne à côté de moi avait déjà pris les devants et avait repoussé l’arme avec sa main » soupire-t-il.
« Pour la seconde fois, j’ai eu de la chance », confie-t-il.
Poursuivant son récit, il se remémore : «Dans cette pagaille, les militaires étudiants sont descendus du bus pour s’en prendre aux citoyens ».
« Personne n’a fui. Nous avons encerclé certains militaires pour prendre leurs armes et nous les avons livré à la police » dit-il fièrement.
Dans les heures qui suivirent, les renforts ont continué d’affluer jusqu’au pont, et les citoyens ont eux aussi continué d’affluer par milliers.
Un char et une voiture blindée auraient brisé la résistance. « Lorsque des renforts sont arrivés, les tirs se sont multipliés. J’ai vu une personne qui a été touchée. Je me suis dirigé vers elle. J’entendais les balles passer au-dessus de ma tête ». C’est à cet instant qu’il a senti pour la première fois le besoin de se protéger.
«Des balles étaient tirés tout azimuts et je n’ai eu d’autre choix que de me diriger vers une voiture afin d’éviter les balles. Mais avant que je n’y parvienne, je me suis retrouvé par terre. Je n’arrivais plus à bouger ma jambe. D’autres personnes sont venues à mon secours et m’ont tiré de là », dit-il « soulagé d’avoir eu autant de chance ».
Une fois dans l’ambulance, Ciftci n’est pas pourtant tiré d’affaire. « L’ambulance a fait un accident et j’ai appris ensuite que les militaires avaient également tirés dessus ».
«Même dans les films hollywoodiens, nous n’avons pas assisté à un tel scénario !» s’insurge-t-il.
« Une fois à l’hôpital, je me suis rendu compte de l’étendue des dégâts. Il y avait du sang partout, les gens souffraient énormément, les médecins faisaient tout leur possible pour nous soigner », se remémore-t-il.
« Je n’arrive toujours pas à croire que des militaires ont été les auteurs d’une telle sauvagerie », dit-il, ajoutant : «Fetullah Gulen leur a lavé le cerveaux pour qu’ils agissent de la sorte ».
« Ce qui m’a surpris, c’était la détermination des militaires. Ils pensaient qu’ils allaient aller au paradis s’ils mourraient » mais finalement, « l’envie de vivre a pris le dessus et se sont rendus à la police » raconte-t-il.
Comme beaucoup de citoyens, sa motivation première a été de penser à l’avenir du pays et de ses enfants. « Tout bon citoyen doit protéger sa patrie et sa famille » insiste-t-il.
Cette résistance lui a coûté sa jambe. Désormais, il est boiteux et ne pourra plus courir ni jouer avec ces enfants comme avant. Pourtant, il dit qu’il n’hésiterait pas à « refaire exactement les mêmes choix s’il le fallait ».
De nombreux médias occidentaux avaient rapporté que les citoyens turcs étaient sortis dans les rues à l’appel du Président Recep Tayyip Erdogan. Or, une partie des citoyens, comme Cetin, était déjà dehors bien avant et n’ont appris l’appel que sur la route.
« Nous avons été rassurés lorsque nous l’avons entendu. Nous avions besoin que le Président soit en vie pour l’indépendance du pays », assure-t-il.
Quant à savoir ce qui se passerait si les militaires avaient réussi leur coup, il n’ose pas imaginer un instant la situation. « Je pense que des milliers de gens seraient morts. D’ailleurs, par la suite, des listes de personnes à abattre ont été retrouvées chez les putschistes », souligne-t-il.
Pour Ciftci, il n'y a aucun doute : « un coup d’Etat réussi aurait été synonyme de guerre civile comme en Syrie ».
« Par contre », prévient-il, « il ne faut pas que l’Europe se réjouisse de cette situation. Une Turquie instable aurait été synonyme de plusieurs milliers de migrants et de potentiels terroristes vers l’Europe ».
« D’ailleurs je ne comprends pas que la Grèce et l’Allemagne protègent des assassins (membres du Feto) car un jour, ces meurtriers n’hésiteront pas à s’attaquer aux Européens », assure-t-il.
Aujourd’hui, l'homme se dit furieux contre l’opposition turque, les Occidentaux et certains adeptes des théories du complot. « Lors d’affrontements, on ne les a pas vu et le leader de l’opposition s’était réfugié dans la cave de l’aéroport. Ils n’ont pas vécu cette situation mais je suis sûr qu’ils ont vu les images » proteste-t-il.
Ce jeune turc se sent insulté par « la partie prise des médias qui refusent de voir la réalité ».
« Si un dixième de ce qui s’était passé en Turquie s’était déroulé en Europe, la loi martiale serait décrétée en Europe et les médias occidentaux ne consacreront leurs Une qu’à cet évènement pendant des années », assure-t-il.
Pour preuve, dit-il encore, l’exemple de la France qui a prolongé six fois l’état d’urgence après les attentats vécus dans le pays.
« Je les comprends mais nous avons vécu pire qu’eux. Ils devraient faire preuve de davantage d’empathie » dit-il.
Ciftci souhaite désormais que les procès s’achèvent et que les auteurs soient punis comme il se doit.
« Je suis confiant pour l’avenir et je suis fier d’avoir laissé un pays libre et indépendant à mes enfants », conclut-il.
Dans la nuit du 15 au 16 juillet, Ankara a été le théâtre, d’une tentative de coup d'Etat, commanditée par un petit groupe putschiste de l’armée appartenant à l’organisation de Fethullah Gülen, appelée aussi FETO.
Les soldats putschistes avaient alors tenté de bloquer les deux ponts du Bosphore et essayé de prendre d’assaut le district de sûreté et quelques médias officiels et privés.
Apprenant la prise du pont du Bosphore (aujourd’hui rebaptisé « Pont des Martyrs du 15 juillet"), Ciftci avait décidé spontanément de se rendre sur place.
« A ce moment-là, je n’imaginais pas un seul instant que les militaires étaient des traitres », explique, ce père de famille de deux enfants.
La tentative de prise du pont du Bosphore a été la plus symbolique et la plus meurtrière. Elle a fait 34 morts sur un total de 250 victimes, selon un bilan officiel.
Ce soir là, Ciftci et son meilleur ami avaient roulé vers le lieu de la rébellion dès le début de la prise mais impossible pour eux d’avancer jusqu’au pont car déjà, les citoyens par milliers, avaient investi les rues, raconte le rescapé.
« Nous avons alors décidé de laisser notre voiture à quelques centaines de mètres du pont pour continuer à pied. A ce moment là nous avons entendu les coups de feu mais nous ne réalisions toujours pas la gravité de la situation », poursuit-il.
« A 80 mètres du pont, nous avons commencé à essuyer des tirs lancés par des armes lourdes. J’ai vu tomber les personnes une par une », se souvient-il.
Chaque fois qu’il se rappelle cette scène, Ciftci a « la gorge qui se noue ». « Une première balle m’a effleurée mais j’ai essayé de porter assistance à des gens bien plus blessés que moi », confie-t-il.
Et Ciftci de poursuivre : «Nous n’avions aucun moyen de nous défendre. Nous avions seulement nos drapeaux dans les mains. Pourtant, les militaires n’hésitaient pas à nous tirer dessus», explique le jeune assistant de direction.
Au bout de longues minutes, se souvient-il, plusieurs renforts sont arrivés sur le pont à bord de bus. « C’était surtout des étudiants de l’Académie Militaire », ajoute-t-il.
Aujourd’hui encore, la polémique autour de ces étudiants est loin d’être terminée. Pour certains, ces étudiants n’étaient au courant de rien et étaient censés être là « pour un entrainement ».
Or, Yusuf Cetin, est catégorique: « J’ai eu une discussion avec un des leurs chefs, je lui ai supplié d’arrêter. Je lui ai dit qu’il massacrait des civils mais il n’a rien voulu savoir ».
« Nous avons vu un soldat étudiant blessé dans le bus, nous lui avons proposé de l’emmener à l’hôpital. Il a accepté et nous avons renvoyé par ambulance ce soldat mais malgré notre aide et notre bonne volonté, le chef en uniforme, nous a demandé de partir. Quand nous avons refusé, il a commencé à tirer en l’air. Dès qu’il n’avait plus de munitions, il a pris une arme de longue portée et l’a pointé sur ma tête », dit-il, la voix tremblante.
Après un moment de silence, il reprend « Il n’a pas hésité à tirer. Mais une personne à côté de moi avait déjà pris les devants et avait repoussé l’arme avec sa main » soupire-t-il.
« Pour la seconde fois, j’ai eu de la chance », confie-t-il.
Poursuivant son récit, il se remémore : «Dans cette pagaille, les militaires étudiants sont descendus du bus pour s’en prendre aux citoyens ».
« Personne n’a fui. Nous avons encerclé certains militaires pour prendre leurs armes et nous les avons livré à la police » dit-il fièrement.
Dans les heures qui suivirent, les renforts ont continué d’affluer jusqu’au pont, et les citoyens ont eux aussi continué d’affluer par milliers.
Un char et une voiture blindée auraient brisé la résistance. « Lorsque des renforts sont arrivés, les tirs se sont multipliés. J’ai vu une personne qui a été touchée. Je me suis dirigé vers elle. J’entendais les balles passer au-dessus de ma tête ». C’est à cet instant qu’il a senti pour la première fois le besoin de se protéger.
«Des balles étaient tirés tout azimuts et je n’ai eu d’autre choix que de me diriger vers une voiture afin d’éviter les balles. Mais avant que je n’y parvienne, je me suis retrouvé par terre. Je n’arrivais plus à bouger ma jambe. D’autres personnes sont venues à mon secours et m’ont tiré de là », dit-il « soulagé d’avoir eu autant de chance ».
Une fois dans l’ambulance, Ciftci n’est pas pourtant tiré d’affaire. « L’ambulance a fait un accident et j’ai appris ensuite que les militaires avaient également tirés dessus ».
«Même dans les films hollywoodiens, nous n’avons pas assisté à un tel scénario !» s’insurge-t-il.
« Une fois à l’hôpital, je me suis rendu compte de l’étendue des dégâts. Il y avait du sang partout, les gens souffraient énormément, les médecins faisaient tout leur possible pour nous soigner », se remémore-t-il.
« Je n’arrive toujours pas à croire que des militaires ont été les auteurs d’une telle sauvagerie », dit-il, ajoutant : «Fetullah Gulen leur a lavé le cerveaux pour qu’ils agissent de la sorte ».
« Ce qui m’a surpris, c’était la détermination des militaires. Ils pensaient qu’ils allaient aller au paradis s’ils mourraient » mais finalement, « l’envie de vivre a pris le dessus et se sont rendus à la police » raconte-t-il.
Comme beaucoup de citoyens, sa motivation première a été de penser à l’avenir du pays et de ses enfants. « Tout bon citoyen doit protéger sa patrie et sa famille » insiste-t-il.
Cette résistance lui a coûté sa jambe. Désormais, il est boiteux et ne pourra plus courir ni jouer avec ces enfants comme avant. Pourtant, il dit qu’il n’hésiterait pas à « refaire exactement les mêmes choix s’il le fallait ».
De nombreux médias occidentaux avaient rapporté que les citoyens turcs étaient sortis dans les rues à l’appel du Président Recep Tayyip Erdogan. Or, une partie des citoyens, comme Cetin, était déjà dehors bien avant et n’ont appris l’appel que sur la route.
« Nous avons été rassurés lorsque nous l’avons entendu. Nous avions besoin que le Président soit en vie pour l’indépendance du pays », assure-t-il.
Quant à savoir ce qui se passerait si les militaires avaient réussi leur coup, il n’ose pas imaginer un instant la situation. « Je pense que des milliers de gens seraient morts. D’ailleurs, par la suite, des listes de personnes à abattre ont été retrouvées chez les putschistes », souligne-t-il.
Pour Ciftci, il n'y a aucun doute : « un coup d’Etat réussi aurait été synonyme de guerre civile comme en Syrie ».
« Par contre », prévient-il, « il ne faut pas que l’Europe se réjouisse de cette situation. Une Turquie instable aurait été synonyme de plusieurs milliers de migrants et de potentiels terroristes vers l’Europe ».
« D’ailleurs je ne comprends pas que la Grèce et l’Allemagne protègent des assassins (membres du Feto) car un jour, ces meurtriers n’hésiteront pas à s’attaquer aux Européens », assure-t-il.
Aujourd’hui, l'homme se dit furieux contre l’opposition turque, les Occidentaux et certains adeptes des théories du complot. « Lors d’affrontements, on ne les a pas vu et le leader de l’opposition s’était réfugié dans la cave de l’aéroport. Ils n’ont pas vécu cette situation mais je suis sûr qu’ils ont vu les images » proteste-t-il.
Ce jeune turc se sent insulté par « la partie prise des médias qui refusent de voir la réalité ».
« Si un dixième de ce qui s’était passé en Turquie s’était déroulé en Europe, la loi martiale serait décrétée en Europe et les médias occidentaux ne consacreront leurs Une qu’à cet évènement pendant des années », assure-t-il.
Pour preuve, dit-il encore, l’exemple de la France qui a prolongé six fois l’état d’urgence après les attentats vécus dans le pays.
« Je les comprends mais nous avons vécu pire qu’eux. Ils devraient faire preuve de davantage d’empathie » dit-il.
Ciftci souhaite désormais que les procès s’achèvent et que les auteurs soient punis comme il se doit.
« Je suis confiant pour l’avenir et je suis fier d’avoir laissé un pays libre et indépendant à mes enfants », conclut-il.