Une éminente universitaire tunisienne appelle à l'ijtihad


Mercredi 11 Mars 2009 - 17:23
Magharebia.com/Jamel Arfaoui


Le professeur d'université Amel Grami est l'une des plus célèbres universitaires arabes à demander l'ijtihad, le droit des femmes à conduire la prière, et l'égalité de l'héritage entre les hommes et les femmes. Magaharebia s'est récemment entretenu avec elle à Tunis de ses appels aux réformes au Maghreb.


Une éminente universitaire tunisienne appelle à l'ijtihad
Magharebia: Vous avez déclaré que dans les sociétés islamiques modernes, les rites en sont venus à remplacer les véritables valeurs spirituelles, un changement qui a entraîné un "arriérisme" culturel. Qu'entendez-vous par là ?
Amel Grami: Nous vivons à une époque de crises cumulées : guerre, famine, pauvreté, corruption, chômage, violations des droits de l'Homme, illétrisme et dépendance, etc. Nous sommes également confrontés au phénomène d'un “nouvel esclavagisme", qui implique un contrôle sur les masses par des sheikhs, des prédicateurs ou d'autres, qui tentent de restaurer leur gloire d'antan.
Cela explique la propagation de phénomènes tels que la dévotion superficielle, l'obsession des superstitions, la pratique de rituels en public et en privé, et les tentatives d'ajouter une touche de religiosité aux lieux publics, ce qui affaiblit la diversité et le pluralisme et réduit la marge de liberté. Cela explique également la disparition de la souplesse et de la tolérance entre les gens et la propagation de l'hypocrisie, des tensions, de l'intolérance et de la haine.
Magharebia: L'ijtihad peut-il être efficace pour tirer le monde islamique de sa condition actuelle, ou la laïcité est-elle la seule option ?
Amel Grami: Le refus d'assumer ses responsabilités et les conséquences de ses décisions, la domination de mentalités rigides insistant sur la pratique d'un "aveuglement" - tout cela empêche non seulement le renouveau de la pensée islamique, mais aussi la mise en place de la démocratie et du pluralisme dans toutes leurs manifestations. Quant aux appels à la réforme à l'intérieur ou en-dehors du système religieux, nous sommes face à plusieurs propositions.
Magharebia: Il y a peu de temps, Jamal Al Banna a appelé les Musulmans à redéfinir les livres de la sounna et à ne pas prendre pour acquis tout ce que disait Sahih Imam Bukhari. Etes-vous d'accord avec lui sur ce point ?
Amel Grami: Jamal Al Banna a été précédé par un grand nombre de penseurs intéressés par cette question, en particulier après l'apparition de nouvelles méthodologies, qui ouvraient de nouveaux champs d'analyse et d'examen des textes religieux selon un concept d'intégration des diverses approches. Nous ne pouvons traiter de livres tels qu'El Sahih et les collections de hadiths comme s'ils étaient isolés d'un contexte dans lequel différentes sectes, factions, dénominations, croyances et groupes sont en conflit, où les inimitiés politiques sont fortes, où les objectifs idéologiques sont prédominants, et où existent des conflits d'intérêts et des besoins de chercher des arguments légitimes pour parvenir à l'équilibre ou parrainer certains objectifs.
Il n'est donc pas surprenant que nous trouvions certains hadiths qui contredisent l'essence-même du message islamique. Nous voyons des hadiths sur la haine des femmes, le rejet des esclaves, les violences envers les Noirs, etc. Cela requiert une grande prudence dans l'adoption de tous les hadiths, pour veiller à ce qu'ils ne soient pas utilisés pour ternir la nature de l'Islam.
Magharebia: Quelle est votre position sur les femmes imams, une question qui suscite une grande controverse chez les Musulmans ?
Amel Grami: Aucun texte religieux n'interdit aux femmes possédant le savoir de conduire les prières. Ce sont seulement des considérations sociales déguisées sous des habits religieux qui ont tenu les femmes éloignées de l'Imama Kubra, l'Imama Sughra, le judiciaire, etc. Le problème est lié à la relation qu'entretiennent les femmes avec l'autorité, qu'elle soit politique ou religieuse, et la connaissance, les choses sacrées et l'imaginaire collectif.
Le chaire est le symbole de l'autorité, la sphère de la confrontation et la démonstration de la distinction masculine. Toute tentative d'appeler à l'égalité est comprise comme une sorte de transgression de l'acquis, une agression contre les privilèges des hommes, une violation de la sharia, un appel à la dissipation et à la loyauté à l'Occident, etc., parmi d'autres accusations dirigées contre ces initiatives qui appellent à la participation des femmes au champ religieux par l'exercice de rôles clés.
Magharebia: La femme tunisienne a depuis longtemps des droits que ses consoeurs d'autres pays musulmans ne partagent pas. Est-ce encore le cas ?
Amel Grami: Nous notons un changement de perception chez les jeunes générations, en particulier, sur ces gains et l'ignorance de l'histoire des mouvements féministes arabes et mondiaux, et des sacrifices consentis dans plusieurs pays pour conquérir ces droits. Il nous semble que la position des femmes tunisiennes a commencé à changer au vu des changements intervenant dans les pays voisins. Par exemple, certains articles du Code marocain des personnes sont plus avancés que ce que nous connaissons ici, et peut-être que considérer le mari comme le chef de famille en est la meilleure preuve. Cela demande d'être plus attentifs pour développer ces droits si nous voulons réellement conserver notre position de leadership.
Magharebia: Sur la base de votre expérience, voyez-vous des différences entre les femmes du Maghreb et des autres pays arabes ?
Amel Grami: La femme rurale qui travaille dur a certaines exigences et une certaine sensibilité d'elle-même, de son existence et de son corps, qui sont différentes de celles de la femme indolente qui ne se préoccupe que de consommation, de son corps et de la dernière mode. [Mais] il y a des aspects communs entre les femmes de tous les pays, en Orient comme en Occident, et dans toutes les cultures, tels que l'expérience de la violence sous toutes ses formes, verbale, matérielle [ou] symbolique. Mais il existe aussi certains aspects qui caractérisent certaines régions et certains pays selon leur situation géographique, leur histoire et leur économie, et qui sont déterminés par les mêmes faits et le même héritage culturel. Nous pouvons dire que les femmes du Maghreb ont une histoire commune.
Magharebia: Certains disent que la campagne menée par les femmes du Maghreb en faveur de l'égalité dans l'héritage viole la sharia. Partagez-vous cet avis ?
Amel Grami: L'appel à l'égalité dans l'héritage doit être précédé par des études qui révèlent les pratiques quotidiennes, qui contredisent bel et bien le texte coranique qui garantit le droit des femmes à l'héritage. Nous ne disposons d'aucune étude sur le terrain précise couvrant tous les pays musulmans qui serait susceptible de témoigner des faits. Les penseurs traditionnels, qui appellent à l'application de la sharia, passent souvent le sujet sous silence. Seuls quelques intellectuels contemporains ont étudié le fossé entre la loi et la pratique concernant les questions liées aux femmes.
Le Coran étant la seule source de règles sur l'héritage dans les sociétés islamiques, je crois qu'il est important d'analyser le contexte des versets traitant de l'héritage et de montrer la relation entre les textes divins, la jurisprudence et le rôle de l'ijtihad dans la réponse à apporter au changement social.


           

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