Vacheries pastorales


Mardi 17 Février 2009 - 13:46
Canoe.ca/Denis Lord


Intrigues amoureuses, morts absurdes et voyeurs barbus sur fond de pâturages : c’était Gemma Bovery il y a huit ans, c’est aujourd’hui Tamara Drewe, Grand Prix 2009 de l’Association des Critiques de Bande Dessinée, sélectionné parmi les Essentiels à Angoulême.


Vacheries pastorales
Dans le nouvel opus de la Britannique Posy Simmonds, la vie d’un cottage de campagne, refuge pour écrivains, est troublé par l’arrivée d’une nouvelle voisine, Tamara, une affriolante chroniqueuse de journal. Les amours de la séductrice sèmeront la tragédie dans la communauté de Stonefield.
Le nouveau roman graphique de Posy Simmonds offre d’évidentes similitudes avec son précédent. Encore des histoires d’infidélité dans un cadre rural et sur fond de littérature, la suspicion, les plaisirs illicites et le drame, une héroïne qui se transfigure, un écrivain voyeur et barbu...
Posy Simmonds reconnaît en rigolant les liens avec Gemma Bovery, un schéma social récurrent, tout en précisant qu’ils n’étaient pas prémédités... «C’est comme si je dirigeais une troupe d’acteurs, souligne-t-elle, ils jouent différents rôles d’un livre à l’autre.»
La similitude est d’autant plus singulière qu’il s’agit d’adaptations de romanciers différents. Sa très libre relecture de Madame Bovary avait été publiée en feuilleton dans le supplément littéraire du journal londonien The Guardian; lorsque l’éditeur de ce dernier lui a demandé de récidiver, elle a eu l’idée d’un récit portant sur une retraite de gens de lettres. «En imaginant le lieu où ça pourrait se passer, raconte Posy, une citation du poème «Gray’s Elegy» s’est imposée: Loin de la foule déchaînée.»
C’est aussi le titre d’un roman de Thomas Hardy. Simmonds l’a relu puis mis dans un tiroir fermé à clé. Totalement remaniée, l’œuvre originelle est méconnaissable. «L’histoire de Hardy est de moi, ironise Simmonds, sauf pour les personnages principaux, quelques clins d’œil et l’ambiance sombre de la fin, typique de ses romans. En même temps, c’est un festival de citations.»
Simmonds transpose à l’époque actuelle le personnage féminin de Hardy. «Au XIXe siècle, les femmes devaient garder leur réputation, c’était très sévère. Aujourd’hui, l’adultère n’est plus un crime mais les effets - jalousie, misère, excitation de l’interdit - restent les mêmes. Ça sera toujours comme ça.»
Planches et procédés
Formellement, Simmonds, a également repris, en couleurs, la formule développée dans son adaptation de Flaubert: une narration polyphonique, un découpage où l’espace se subdivise en cases, extraits de journaux et prose. «J’avais beaucoup de contraintes pour la publication hebdomadaire, qui ne devait faire que 100 épisodes, explique-t-elle. Alors j’ai bourré les planches de textes contenant des éléments de l’intrigue.»
Modeste, la dame. Alors que plusieurs albums juxtaposant texte et cases perdent en fluidité, Simmonds a trouvé un bel équilibre avec ce procédé, conséquent avec la profession des personnages. Dans ses planches également, contrepoint au cadre rural, archaïque, les technologies modernes de communications créent leur propre espace, perturbant paradoxalement les rapports entre les protagonistes.
Ce cadre rural devient un personnage à part entière. «Les Britanniques de la classe moyenne rêvent de la campagne, constate Simmonds. C’est très fort, peut-être mystique. Ça tient à un concept de pureté, un monde où il y aurait moins de crimes et de pollution.» Dans Gemma Bovery, les personnages manifestaient un réel désir de retour à la terre. Ici, Stonefield s’avère plutôt une sorte de non-lieu pour les écrivains de passage, inconscients de leur environnement.
Les deux adolescentes du récit savent bien où elles sont. Stonefield incarne pour elles l’ennui et le néant. Des caractéristiques qu’on associerait à Beth, l’hôte flouée du refuge d’écrivains, bonne, patiente, indispensable. «Pourquoi la vertu est-elle si morne?», se demande-t-elle.


           

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