La plus instante tient au mal récurrent d'une économie postcoloniale et la moins formalisée mais la plus profonde, c'est le mal-être d'un peuple qui se cherche un nom, un cap, une identité...
D'un long passé impérial la France a hérité, sur trois océans, un archipel unique en son genre. Elle y jouit d'une extension stratégique avantageuse. Elle s'enorgueillit de l'avoir rassemblé au sein même de la Nation en faisant de ces îles soit des départements, soit des territoires autonomisés. Mais la France s'est, hélas, endormie sur ses lauriers. Pour perturber l'idylle, en vérité trompeuse, de la famille française, l'Histoire et la Géographie se sont mises de la partie. Elles pèsent lourd.
La Géographie, l'éloignement et la dispersion alourdissent les handicaps naturels de l'insularité. Transports coûteux, monopoles abusifs, coûts prohibitifs ! Ils font des Antilles et de La Réunion des Corse exagérées. Exportant peu, important dix à quinze fois plus, elles vivent ou vivotent dans la manne d'une dispendieuse assistance d'Etat. Les RMIstes y prolifèrent. La richesse par habitant se pavane bien au-dessus du niveau des îles voisines qui croupissent dans l'indépendance, mais elle stagne bien au-dessous du niveau métropolitain. Elles sont en somme riches dans leur aire géographique et pauvres dans leur aire nationale. Leur chômage massif s'envole, pour la jeunesse, au-dessus de 40 %. Il y fomente la délinquance et pourvoit en casseurs les journées d'émeute.
Une économie postcoloniale demande à l'Etat de materner ces îles déshéritées : ni la banane ni le tourisme ne pourraient leur assurer le niveau de vie actuel, qu'elles trouvent insupportable. C'est un changement radical de « logiciel » économique qui s'impose et qu'Yves Jégo aimerait promouvoir. Il n'est pas si utopique qu'il paraît : grâce à l'outre-mer, la France est la deuxième puissance maritime du monde. La mer est un atout majeur de notre univers mondialisé ! Productions-pilotes d'énergies écologiques (La Réunion tient le bon bout) ; exploitations, en techniques d'avant-garde, des immenses réserves halieutiques et des fonds marins ; relocalisation de réseaux numériques, etc. Un pactole inexploité !
L'Histoire cependant se réveille, une Histoire tatouée sur la peau des Antillais. La peau, dit-on, c'est ce qu'il y a de plus profond chez l'homme : on n'en sort pas comme d'une défroque. Et il faut être de peau noire pour comprendre l'insistante rumination d'un passé saccagé. « A qui fera-t-on croire, hurle cet Antillais, que tous les hommes ont, comme nous, connu la traite, l'esclavage, le total outrage, la vaste insulte ? » Eh bien, oui ! Il faut être Noir pour ressentir encore l'historique outrage. Et pleurer, comme délivré, à l'élection d'Obama.
Plus dérangeant peut-être : la société antillaise n'a pas d'existence précoloniale. On ne peut aux Antilles invoquer le passé noir d'avant la traite et que les nationalismes africains idéalisent. Ici, la négritude chère à Senghor, voire à l'Antillais Césaire, n'est plus elle-même de saison. Car la société antillaise s'est constituée dans un frottement d'abord esclavagiste, puis postesclavagiste après 1848, enfin français de plein droit depuis 1945. C'est ce cheminement inachevé qu'habille et assume la créolité. Dans la tradition antillaise, le mélange est partout. On mange indien avec le colombo ; on danse noir avec le tambour africain, blanc dans les quadrilles des anciens maîtres ... Inextricable écheveau caraïbe, européen, africain, asiatique et levantin, que la créolité, avec lyrisme et amphigouri, peine à fédérer !
Lorsque la crise précipite le peuple dans la rue, une créolité encore schizophrène laisse échapper ses démons. Tel modéré-qui refuse, comme la grande majorité des Antillais, l'indépendance-va dans la tourmente voir chez le Blanc un colonial invétéré, voire un « casseur de Nègres ». Tel poète se convainc que « chaque buisson de mémoire cache un tireur ». Bref, on s'enflamme, on s'exalte, on s'envole avec les fées du rêve et les sorcières du cauchemar. On dénonce dans la petite minorité béké l'héritage, en effet avéré, d'une maîtrise économique de l'île et sa « pwofitasyon ». Mais on sait que le salaire privilégié des fonctionnaires antillais, aligné sur celui des métropolitains, ajoute sa fracture... La créolité est encore une chimère déchirée et déchirante...
Est-ce que l'actuelle éruption du volcan emportera l'actuel statut départemental ? Faut-il lui substituer, comme le souhaitent beaucoup d'élus, un régime d'autonomie qui réussit à la Nouvelle-Calédonie mais guère à la Polynésie ? Les dés roulent. Mais ce qui d'abord restera de cette révolte, c'est ce cri antillais : « Qui sommes-nous ? Comment nous regarde-t-on ? Et comment faut-il que les Français d'ailleurs parlent aux Français d'ici ? »
D'un long passé impérial la France a hérité, sur trois océans, un archipel unique en son genre. Elle y jouit d'une extension stratégique avantageuse. Elle s'enorgueillit de l'avoir rassemblé au sein même de la Nation en faisant de ces îles soit des départements, soit des territoires autonomisés. Mais la France s'est, hélas, endormie sur ses lauriers. Pour perturber l'idylle, en vérité trompeuse, de la famille française, l'Histoire et la Géographie se sont mises de la partie. Elles pèsent lourd.
La Géographie, l'éloignement et la dispersion alourdissent les handicaps naturels de l'insularité. Transports coûteux, monopoles abusifs, coûts prohibitifs ! Ils font des Antilles et de La Réunion des Corse exagérées. Exportant peu, important dix à quinze fois plus, elles vivent ou vivotent dans la manne d'une dispendieuse assistance d'Etat. Les RMIstes y prolifèrent. La richesse par habitant se pavane bien au-dessus du niveau des îles voisines qui croupissent dans l'indépendance, mais elle stagne bien au-dessous du niveau métropolitain. Elles sont en somme riches dans leur aire géographique et pauvres dans leur aire nationale. Leur chômage massif s'envole, pour la jeunesse, au-dessus de 40 %. Il y fomente la délinquance et pourvoit en casseurs les journées d'émeute.
Une économie postcoloniale demande à l'Etat de materner ces îles déshéritées : ni la banane ni le tourisme ne pourraient leur assurer le niveau de vie actuel, qu'elles trouvent insupportable. C'est un changement radical de « logiciel » économique qui s'impose et qu'Yves Jégo aimerait promouvoir. Il n'est pas si utopique qu'il paraît : grâce à l'outre-mer, la France est la deuxième puissance maritime du monde. La mer est un atout majeur de notre univers mondialisé ! Productions-pilotes d'énergies écologiques (La Réunion tient le bon bout) ; exploitations, en techniques d'avant-garde, des immenses réserves halieutiques et des fonds marins ; relocalisation de réseaux numériques, etc. Un pactole inexploité !
L'Histoire cependant se réveille, une Histoire tatouée sur la peau des Antillais. La peau, dit-on, c'est ce qu'il y a de plus profond chez l'homme : on n'en sort pas comme d'une défroque. Et il faut être de peau noire pour comprendre l'insistante rumination d'un passé saccagé. « A qui fera-t-on croire, hurle cet Antillais, que tous les hommes ont, comme nous, connu la traite, l'esclavage, le total outrage, la vaste insulte ? » Eh bien, oui ! Il faut être Noir pour ressentir encore l'historique outrage. Et pleurer, comme délivré, à l'élection d'Obama.
Plus dérangeant peut-être : la société antillaise n'a pas d'existence précoloniale. On ne peut aux Antilles invoquer le passé noir d'avant la traite et que les nationalismes africains idéalisent. Ici, la négritude chère à Senghor, voire à l'Antillais Césaire, n'est plus elle-même de saison. Car la société antillaise s'est constituée dans un frottement d'abord esclavagiste, puis postesclavagiste après 1848, enfin français de plein droit depuis 1945. C'est ce cheminement inachevé qu'habille et assume la créolité. Dans la tradition antillaise, le mélange est partout. On mange indien avec le colombo ; on danse noir avec le tambour africain, blanc dans les quadrilles des anciens maîtres ... Inextricable écheveau caraïbe, européen, africain, asiatique et levantin, que la créolité, avec lyrisme et amphigouri, peine à fédérer !
Lorsque la crise précipite le peuple dans la rue, une créolité encore schizophrène laisse échapper ses démons. Tel modéré-qui refuse, comme la grande majorité des Antillais, l'indépendance-va dans la tourmente voir chez le Blanc un colonial invétéré, voire un « casseur de Nègres ». Tel poète se convainc que « chaque buisson de mémoire cache un tireur ». Bref, on s'enflamme, on s'exalte, on s'envole avec les fées du rêve et les sorcières du cauchemar. On dénonce dans la petite minorité béké l'héritage, en effet avéré, d'une maîtrise économique de l'île et sa « pwofitasyon ». Mais on sait que le salaire privilégié des fonctionnaires antillais, aligné sur celui des métropolitains, ajoute sa fracture... La créolité est encore une chimère déchirée et déchirante...
Est-ce que l'actuelle éruption du volcan emportera l'actuel statut départemental ? Faut-il lui substituer, comme le souhaitent beaucoup d'élus, un régime d'autonomie qui réussit à la Nouvelle-Calédonie mais guère à la Polynésie ? Les dés roulent. Mais ce qui d'abord restera de cette révolte, c'est ce cri antillais : « Qui sommes-nous ? Comment nous regarde-t-on ? Et comment faut-il que les Français d'ailleurs parlent aux Français d'ici ? »