"Ajami" jette une lumière crue sur l'autre conflit israélo-arabe

AFP

Jaffa - Dans le quartier "mixte" de Jaffa décrit par le film israélien "Ajami", Juifs et Arabes se côtoient dans la vie quotidienne, sans savoir à quel moment quelqu'un va sortir un couteau.

"Ajami", le troisième film israélien nominé consécutivement aux Oscars, s'intéresse aux Arabes israéliens, une minorité représentant 20% de la population d'Israël mais qui reste dans l'ombre de la question palestinienne.

"La plupart des Israéliens ne savent pas ce qui se passe dans des endroits comme Ajami. Toute leur attention se polarise sur le conflit avec les Palestiniens", explique Yaron Shani, 37 ans, un des deux réalisateurs du film.

"Ajami", le nom d'un quartier de Jaffa, au sud de Tel-Aviv, raconte les malheurs de personnages liés par leurs allégeances, claniques, religieuses ou ethniques, que le destin plonge dans le monde de la pègre locale.

"Le film montre à quel point les différences sont ancrées, combien la ségrégation est réelle. Quand on vit dans une telle réalité, il n'est pas surprenant que de temps à autre il y ait une explosion de violence", souligne Yaron Shani.

Omar, le héros, est un adolescent arabe israélien qui devient dealer pour honorer une dette d'honneur envers une famille bédouine à la suite d'un règlement de comptes ayant mal tourné.

Il y a aussi Malek, un Palestinien de 16 ans, originaire de Cisjordanie, venu travailler illégalement en Israël pour gagner de quoi financer l'opération de la dernière chance pour sa mère soignée dans un hôpital israélien.

Le destin fait qu'ils croisent sur leur route Dando, un policier en civil israélien, lancé à la recherche de son frère qui a disparu.

Les deux co-réalisateurs, Yaron Shani, un juif, et Scandar Copti, un Arabe israélien (34 ans), ont choisi de faire jouer des habitants du quartier plutôt que des acteurs professionnels. Et de les faire évoluer suivant un scénario assez libre.

"On leur a laissé la liberté d'être eux-mêmes. Les scènes sont totalement spontanées", insiste Yaron Shani.

Dans une scène, Dando et ses collègues policiers s'apprêtent à arrêter un trafiquant de drogue lorsqu'ils sont attaqués par surprise par les amis du truand qui se portent à son secours. Yaron Shani se souvient que l'équipe de tournage a dû intervenir pour éviter que la bagarre ne dégénère pour de vrai.

"J'avais l'impression que j'étais au boulot. Je ne jouais pas", dit Eran Naim, 39 ans, policier pendant seize ans, qui assure le rôle de Dando.

Ironie de l'histoire, alors qu'"Ajami" triomphe auprès du public israélien, de nombreux Arabes israéliens sont nettement moins enthousiastes.

"Le film ne montre qu'un seul côté de la pièce", regrette Samir Awad, un commerçant du quartier. "Nous ne sommes pas tous des gangsters. Nous avons aussi des médecins, des avocats et même des juges", plaide-t-il.

La communauté arabe compte 1,5 million de descendants des Palestiniens restés sur place après la création de l'Etat d'Israël en 1948. Exposée à la violence et la délinquance, elle représente 60% des victimes de meurtres, selon le gouvernement. D'après une étude commandée par le Parlement, les Arabes israéliens constituent 41% des suspects d'homicide (36% des suspects de violences à main armée).

Les habitants d'Ajami accusent la police de harcèlement et de racisme. Le mois dernier, les deux frères de Scandar Copti ont été interpellés à la suite d'une altercation avec la police.

Pour Shahir Kabaha, 25 ans, qui joue Omar et a vécu toute sa vie à Ajami, le film reflète la fragilité du calme apparent qui prévaut dans les quartiers mixtes d'Israël.

"Chacun ici a une vie normale, mais à n'importe quel moment quelque chose peut tout bouleverser", témoigne-t-il.


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