"Black Swan": Portman, portée par Aronofsky, exécute le pas de deux du Bien et du Mal
AP
Paris - Lorsqu'en 1998, les cinémas d'art et d'essai américains programment un obscur film d'auteur intitulé "Pi", Darren Aronofsky avait 29 ans. Personne ne pouvait alors présager que ce jeune réalisateur originaire de Brooklyn allait devenir l'un des cinéastes les plus brillants de sa génération.

Hypnotique et haletant, "Black Swan" explore jusqu'à ses limites la psyché d'une ballerine à la veille de son grand début en danseuse étoile, et réalise l'exploit de faire découvrir le monde confidentiel du ballet à un public de profanes...
Nina (Nathalie Portman) est ballerine au sein du très prestigieux New York City Ballet. Sa vie, comme celle de toutes ses consoeurs, est entièrement vouée à la danse. Surprotégée et poussée par sa mère Erica (Barbara Hershey), une ancienne ballerine, elle vit sa passion sans jamais déroger aux diktats de la danse: pas de sorties, pas d'alcool, pas de drogues, pas de petit ami.
Lorsque Thomas Leroy (Vincent Cassel), le directeur artistique de la troupe, décide de remplacer la danseuse étoile Beth Mcintyre (Winona Ryder) pour leur nouveau spectacle, "Le lac des Cygnes", il hésite entre plusieurs danseuses. Nina parvient à le persuader de la prendre pour le rô le. Mais une nouvelle arrivante, Lily (Mila Kunis), l'impressionne également beaucoup. Car "Le Lac des Cygnes" exige une danseuse capable de jouer le cygne blanc dans toute son innocence et sa grâce, mais aussi apte à incarner le cygne noir, symbole ultime de la ruse et de la sensualité. Nina est parfaite pour jouer le cygne blanc, mais saura-t-elle danser le cygne noir?
Alors que la rivalité entre Nina et Lily se mue peu à peu en une amitié troublante, Nina découvre, de plus en plus fascinée, son cô té obscur. Mais s'y abandonner pour personnifier son rô le pourrait bien aller jusqu'à la détruire...
Avec "Black Swan", Darren Aronofsky a sans aucun doute réalisé son plus grand film à ce jour. Inspiré par les plus grands réalisateurs (Joseph Mankiewicz, Alfred Hitchcock, David Cronenberg), son long-métrage déroule en crescendo les étapes d'une lutte funeste entre le Bien et le Mal.
Inspirés de l'oeuvre d'Andrès Heines, un drame mettant en scène la dangereuse rivalité entre une comédienne et sa doublure à Broadway, les scénaristes Mark Heyman et John McLaughlin ont écrit un superbe scénario basé sur l'oeuvre du compositeur russe Piotr Illich Tchaïkovski.
"Je suis parti des premières versions du scénario et y ai intégré l'intrigue du 'Lac des Cygnes' en la plaçant au centre de l'histoire. Cela a tout changé", explique Mark Heyman. "C'est devenu le point de départ d'une histoire moderne sur la dualité et sur la peur de voir quelqu'un ou quelque chose vous voler votre vie."
Et pour cette plongée aux abîmes de la paranoïa et de la schizophrénie, Darren Aronofsky a choisi l'actrice parfaite: Nathalie Portman, sublime de grâce et de sensibilité. Il a fallu à la jeune femme dix mois de travail acharné, aux cô tés du chorégraphe français du New York City Ballet Benjamin Millepied, pour parvenir à danser sa partition sur "Le lac des Cygnes". Nommée aux Oscars dans la catégorie meilleure actrice, Nathalie Portman tient là le plus beau rô le de sa carrière.
A ses cô tés, Vincent Cassel réalise aussi l'une de ses meilleures performances, sans jamais surjouer, signe que Darren Aronofsky sait parfaitement tenir ses acteurs. Mais c'est surtout par sa mise en scène que le cinéaste de "Black Swan" démontre toute l'étendue de son talent. Arabesques, pointes et piqués, entrechats et grands écarts: en véritable virtuose, sa caméra virevolte autour des danseurs tout au long du film, sur scène ou en coulisses.
La plupart des scènes ont été tournées en plans séquences, caméra à l'épaule, de manière à faire partager toute les sensations du ballet avec les spectateurs. En symbiose avec les ballerines, la caméra saisit de près leur énergie, la sueur, la douleur et leur talent, jusqu'aux sons des tutus, des pointes et des respirations Autre prouesse du film: le puissant jeu des miroirs et de reflets, essentiel dans le milieu de la danse, et terriblement efficace pour générer l'angoisse liée à la perte d'identité de l'héroïne.
Avec "Black Swan", Darren Aronofsky, le cinéaste inconnu de "Pi", entre de plein pied dans la cour des grands, pleinement reconnu par la profession et par le grand public. Son film a reçu cinq nominations aux Oscars, celles du meilleur film, du meilleur réalisateur, de la meilleure actrice, du meilleur montage et de la meilleure photographie.