"Che, 1re partie : L'Argentin" : jusqu'à la victoire, éphémère

Le Monde.fr/Jean-Luc Douin

Que Francisco Rabal puis Omar Sharif aient interprété le rôle d'Ernesto Guevara dans deux films ridicules en 1969 (signés Paolo Heusch et Richard Fleischer), nous l'avions oublié. C'est préférable.

Nous reste en revanche en mémoire le récent Carnets de voyage, de Walter Salles (2004), dans lequel le bourgeois argentin ouvre ses yeux de jeune carabin sur la misère du continent latino-américain lors d'une virée à moto. Et le projet mort-né de Francesco Rosi, cinéaste désigné pour signer une "enquête autour d'un cadavre", qui voulait s'interroger dès 1967 (année de la mort du Che à La Higuera) sur la conjonction de la morale et de la politique dans un monde où s'affrontent les stratégies américaine et soviétique.

La bureaucratie cubaine n'a pas permis à Rosi d'exprimer son propre point de vue sur l'emblématique guérillero. Un temps confié à Terrence Malick, le projet de Steven Soderbergh était, lui, au départ, censé se limiter à l'épisode bolivien, celui de la Berezina et du martyre. Autant dire que le réalisateur américain avait une préférence pour le second volet de ce diptyque (Guérilla, sortie le 28 janvier), mais le film ne prouve-t-il pas que le cinéaste est, culturellement et idéologiquement, plus à l'aise pour la glorification d'une conquête que pour la chronique mélancolique d'un maquis ?

Steven Soderbergh tient en tout cas à faire de son épopée une affaire de style : cadrages en CinémaScope et formalisme des compositions mordorées à l'hollywoodienne pour la première partie, peinture de l'affrontement entre oppresseurs et opprimés ; cadres étriqués et asphyxie verdâtre en numérique pour la chute du révolutionnaire cerné dans son "cul-de-sac idéologique".

L'Argentin, qui nous occupe aujourd'hui, débute en 1955 lorsque Guevara rencontre Fidel Castro au Mexique et se clôt en 1958 quand les troupes victorieuses de la guérilla des forces armées du dictateur Batista prennent la route de La Havane. Entre-temps sont retracés le départ du Che avec quatre-vingts hommes pour Cuba en 1956, les deux ans passés dans la forêt de la Sierra Maestra et la prise homérique des villes de Las Villas et Santa Clara.

Mais, brisant la chronologie, cette partie intègre aussi, par flashes tournés en noir et blanc, l'intervention du Che contre l'impérialisme nord-américain au siège de l'ONU à New York en 1964, et un entretien avec une journaliste à laquelle il confie préférer affronter une armée que la presse. Ces inserts en flash-forward (situés une fois la révolution cubaine accomplie) sont censés nous donner deux informations. D'une part sur l'irréductible détermination anticapitaliste du personnage, d'autre part sur la mythologie qu'il est en train de créer.

Portrait altruiste

Or, ne cessera de souligner Soderbergh jusque dans la seconde partie où son héros perd de sa superbe, Guevara est plus un idéaliste qu'un politique, moins un stratège qu'un meneur d'hommes, qui préférera abandonner le pouvoir et ses honneurs pour retourner à la clandestinité. Che n'est pas un film marxiste, on s'en doute, c'est une sorte de western christique, une chanson de geste dont ne sont exaltés que les épisodes glorieux, humanistes (on s'y attarde sur son souci des blessés), puritain (sa relation avec la belle Aleida s'y cantonne à une proximité de combat). C'est la croisade volontairement subjective d'un justicier des pauvres au corps déjà crucifié par ses crises d'asthme, son bras dans le plâtre.

Sans doute cette volonté de brosser un portrait d'altruiste empêche-t-elle Benicio del Toro de camper un Guevara flamboyant. Elle permet à Demian Bichir de crever l'image dans le rôle de Fidel Castro, à Soderbergh de sous-estimer les controverses entre les deux hommes. Le Che est tout, ici, sauf le terroriste psychopathe et sanguinaire dépeint dans les médias de l'époque. C'est un radical au coeur pur qu'effleure la tentation de se poser en icône, lorsque ministre de l'industrie il intervient à la tribune des Nations unies. Arborant barbe, béret et cigare, l'insurgé se surprend à cirer ses rangers noirs et à réclamer un peu de maquillage pour une caméra de télévision.

Ces minutes d'égarement s'opposent au plan final de l'épisode, lorsque, sur la route de la victoire finale, il intime l'ordre à l'un de ses guerriers de ramener une rutilante décapotable là où il l'a trouvée, et à la réplique finale : "Je préfère arriver à pied que dans une voiture volée !"
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Film américain de Steven Soderbergh avec Benicio del Toro, Demian Bichir, Catalina Sandino Moreno. (2 h 05.)


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