Chine : Un film sur le massacre de Nankin, cible des ultra-nationalistes

AFP/François BOUGON

Film patriotique pour les autorités en ces 60 ans du régime communiste, "Nanjing, Nanjing" ("Nankin, Nankin"), succès du box-office en Chine, rencontre cependant l'opposition des secteurs les plus nationalistes pour montrer à l'écran des soldats japonais trop humains.

Chine : Un film sur le massacre de Nankin, cible des ultra-nationalistes
C'est une œuvre, en noir et blanc, sur le massacre commis en 1937 par les troupes nippones dans la capitale chinoise de l'époque, Nankin (est) vue à partir de plusieurs regards -- chinois et japonais.
Grâce à elle, en deux semaines, le réalisateur Lu Chuan, 38 ans, est entré dans le cercle restreint des réalisateurs chinois millionnaires en recettes (en yuans).
Soutenu par les autorités et coproduit par la toute-puissante China Film, le film bénéficie d'une distribution dans toute la Chine.
Les atrocités commises par les Japonais à Nankin, avec un bilan de 300.000 morts, selon Pékin, sont toujours aussi présentes dans la mémoire chinoise, soigneusement entretenue par le Parti communiste pour nourrir sa légitimité.
Lu Chuan partage l'opinion d'une majorité de ses compatriotes: le Japon ne s'est jamais vraiment repenti.
"Le gouvernement japonais n'a jamais demandé pardon pour le massacre, certains Japonais veulent même ignorer la vérité sur le massacre", explique à l'AFP le réalisateur, fils d'un écrivain connu et qui s'était fait connaître à l'étranger avec "Kekexili" ("Mountain Patrol") en 2003.
Des dizaines de films ont déjà été consacrés au massacre de Nankin et le sujet est toujours aussi sensible.
Pour ce film de guerre, Lu Chuan, qui revendique les influences de Francis Ford Coppola, David Lean et Akira Kurosawa, dit avoir juste voulu montrer la vérité.
Et, pour la première fois, "Nanjing, Nanjing" ("City of Life and Death" en anglais) dépeint des soldats japonais comme des humains pris dans la tragédie de la guerre et non des monstres assoiffés de sang.
Cependant, les plus nationalistes ne lui pardonnent pas et il a reçu une menace de mort.
"J'ai eu l'impression d'être à l'époque de la Révolution culturelle, je n'imaginais pas qu'il y avait autant de nationalistes avant la sortie du film", dit-il.
"Je tente de donner un message de paix et d'amour, je pense que la majorité du public peut y adhérer, la minorité extrémiste ne pourra jamais être convaincue", estime celui qui, avant d'étudier le cinéma, a suivi les cours de l'école militaire de Nankin.
Il vient d'achever une tournée dans plusieurs villes de Chine, qui, à certains moments, a été difficile, en particulier pour les acteurs japonais.
"Le sujet (du massacre de Nankin) a été dépeint de manière excessive en Chine, d'où les réactions très fortes du public", juge-t-il.
"Après plusieurs jours, je me suis aperçu que c'était une +torture+ pour eux. J'ai eu peur pour leur sécurité", dit-il.
L'un d'eux a craqué, demandant de partir. Il n'a pu reprendre la tournée de promotion qu'après quelques jours de repos.
"Moi même j'ai senti beaucoup de pression, les médias et les spectateurs m'ont demandé pourquoi j'avais pris le regard d'un soldat japonais pour raconter l'histoire", dit-il.
Lu Chuan juge que le fait d'avoir pu filmer le massacre de Nankin de cette manière montre malgré tout que la Chine évolue.
Mais d'autres périodes historiques sensibles comme la Révolution culturelle ou le mouvement démocratique de 1989 sont encore tabous pour les cinéastes chinois.
"Certains cinéastes chinois veulent faire des films sur ces sujets parce que c'est un matériel parfait pour des films", souligne Lu.
"Moi-même j'aimerais faire un film sur le 4 juin" (1989), poursuit-il, même s'il juge que "dans les cinq années à venir la possibilité n'est pas grande" de faire un film sur la répression sanglante des manifestations prodémocratiques.
"Nous devons faire en sorte que le pays soit de plus en plus ouvert", dit-il.


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