Comédie-Française: "Un Tramway nommé désir" japonisant et pourtant fidèle
AFP
Paris - Pour aller à la Nouvelle-Orléans, passer par Tokyo. Dans "Un Tramway nommé désir", première pièce américaine à entrer au répertoire de la Comédie-Française, le metteur en scène Lee Breuer tente et réussit le pari de japoniser le Sud, violent et sensuel, de Tennessee Williams.

Rappelons l'histoire: après une longue séparation, Blanche rend visite à sa soeur Stella qui vit dans un quartier populaire de La Nouvelle-Orléans. Celle-ci a épousé Stanley, tout en muscles, en bière et en poker. Blanche reproche ce mariage à Stella parce que, juge-t-elle, il la déclasse et avec elle toute la famille, autrefois propriétaire d'une demeure baptisée "Belle Rêve". Mais Blanche a sa part de noirceur que Stanley va découvrir. Elle en perdra la raison.
Icône de la scène d'avant-garde new-yorkaise depuis 30 ans, Lee Breuer multiplie les inventions pour emboîter les deux mondes qu'il a décidé de planter sur le plateau.
Côté Japon, des kurogo interviennent en permanence sur la scène. Comme dans le théâtre kabuki, il s'agit d'assistants muets couverts de voiles noirs qui passent les accessoires aux acteurs ou changent les décors à vue. Des estampes japonaises, tigres, singes, guerriers ou vagues océanes traités sur fond de laque d'or ou d'azur, structurent le décor et font écho aux sentiments des personnages.
Côté Sud, il y a des musiciens et un bluesman, un biker tatoué sorti d'"Easy Rider", à la barbe aussi longue que celle des ZZTop, une voisine qui évoque Tina Turner, un aveugle noir à canne blanche et même la voix de Marilyn chantant "I wanna be loved by you".
Bref tout un méli-mélo d'icônes américaines qui trouvent leur place dans l'esprit mikado déjà évoqué.
Les acteurs suivent le pari avec bonheur. Anne Kessler notamment compose une Blanche Dubois qui n'a rien à envier à Vivien Leigh dans le film de Kazan. Elle minaude, tente de transformer le deux pièces cuisine de sa soeur en boudoir, s'évapore dans la salle de bain qu'elle occupe en permanence.
"Je ne veux pas de réalisme. Je veux de la magie ! Oui, oui, de la magie", lui fait dire Tennessee Williams dans la pièce, écrite en 1947.
Hélas, tout autour d'elle est réaliste: le mauvais bourbon, les parties de cartes de Stanley, sa grossièreté, sa violence à l'égard de Stella.
Pour incarner Kowalski, sauvage, sensuel, Eric Ruf avait un défi insurmontable à relever: être à la hauteur de Marlon Brando.
Mais la question n'est finalement pas de savoir s'il soutient la comparaison, mais de voir comment le comédien, aidé par le metteur en scène, a réussi à contourner l'obstacle.
Et c'est déguisé en Joker de Batman, une improbable perruque verte sur la tête, le visage grimé de blanc barré d'un sourire rouge et grotesque qu'il y parvient le mieux.
Loin, très loin du Brando moulé dans son T-shirt légendaire, il réussit à faire vivre Stanley sur la scène de la salle Richelieu.
C'est la première fois qu'une pièce du patrimoine américain est intégrée au répertoire du Français, pourtant fort de 2.662 oeuvres et 1.025 auteurs.
C'est même la première fois qu'un auteur non européen vient s'ajouter à la petite quarantaine d'auteurs étrangers joués Salle Richelieu.
A quand la suite, de "La Chatte sur un toit brûlant" à "La Nuit de l'iguane" ?