Comment l'hôpital réduit ses effectifs
Le Monde.fr/Cécile Prieur
L'hôpital public est à la diète. Alors que le président de la République, Nicolas Sarkozy, devait inaugurer, vendredi 9 janvier, le nouvel hôpital civil de Strasbourg (Bas-Rhin), un vaste complexe de 715 lits, les établissements français affichent pour la plupart des déficits record, qui les obligent à d'importantes restructurations.
Bien que le budget de l'hôpital soit augmenté chaque année par le Parlement de plus de 3 % (soit 2 milliards supplémentaires par an, sur une enveloppe de 70 milliards), la plupart des grands hôpitaux sont dans le rouge. C'est le cas de 29 des 31 centres hospitaliers universitaires (CHU) et de tous les plus grands établissements, comme Paris, Lyon et Marseille.
Certains hôpitaux, comme Lyon, ont massivement emprunté pour réaliser des investissements immobiliers, ce qui les a durablement endettés. D'autres recourent désormais à l'emprunt pour assurer leurs dépenses courantes et payer les salaires. Tous subissent le contrecoup du passage intégral, en 2008, à la tarification à l'activité (T2A), le nouveau système de financement des hôpitaux : la T2A fragilise les trésoreries des établissements, dont les coûts de fonctionnement sont encore supérieurs aux tarifs fixés par la moyenne nationale.
Placés sous tension financière permanente par le gouvernement – Nicolas Sarkozy a exigé leur retour à l'équilibre en 2012 –, les hôpitaux français se sont engagés dans de vastes opérations de restructuration impliquant des économies tous azimuts. Pour éviter des suppressions de postes, ils ont puisé, en 2006-2007, dans leurs réserves financières, obérant d'autant leur capacité d'investissement.
Mais l'exercice a ses limites : "Jusqu'à présent, les efforts d'économie ne se sont pas traduits par un rationnement de soins, ni une diminution des effectifs de personnel, analyse Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF). Mais la situation est en train de changer. On s'attaque désormais à l'emploi pour faire des gains de productivité."
De fait, la question de l'emploi n'est plus taboue dans le monde hospitalier : discrètement, les plans de réduction d'effectifs s'égrènent dans les régions. A Marseille, les économies ont porté sur 650 postes entre 2002 et 2008. Au Havre, le plan de retour à l'équilibre implique la suppression de près de 400 emplois. Le statut de la fonction publique ne permettant pas de licencier les agents hospitaliers, les directeurs décident de ne pas remplacer des départs à la retraite ou de ne pas renouveler des contrats à durée déterminée.
La plupart du temps, les départs affectent des emplois administratifs et de logistique, mais ce n'est pas toujours le cas, et des postes soignants sont également supprimés. Parfois, les directions innovent, en proposant des plans de départ volontaire, avec une indemnité de départ : à Nantes, 200 personnes devraient quitter l'hôpital en 2009 avec une enveloppe individuelle qui pourrait atteindre 42 000 euros.
Tous les hôpitaux ne communiquent pas sur le nombre de postes supprimés, quand la divulgation de ce chiffre est jugée "trop sensible". Au CHU de Nice, l'exercice 2008 s'est conclu sur un déficit de 30 millions d'euros, contre 50 au début de l'année, un effort important obtenu au prix d'une réduction d'effectifs. "On ne peut pas résorber un déficit de cette ampleur sans toucher à la masse salariale, quand l'emploi représente 70 % du budget des hôpitaux, explique Emmanuel Bouvier-Muller, le directeur de l'établissement. Je n'ai pas licencié, mais je n'ai pas renouvelé des départs à la retraite." Le directeur ne cache pas que l'année fut rude sur le plan social. "C'est très difficile en interne, poursuit-il. Il faut tenir un langage de vérité auprès de personnes qui sont habituellement protégées, expliquer et réexpliquer la nécessité des réformes pour la survie de l'hôpital."
Pris entre les exigences d'économies de leur tutelle et le mécontentement latent de la base, les directeurs font de la haute voltige. D'autant que les réductions de masse salariale s'inscrivent dans des opérations de restructuration (regroupements ou suppressions de services, mutualisation des moyens) qui transforment profondément le visage des établissements. "C'est un travail de terrain constant, permanent, pour discuter des mesures prises avec les personnels, rester dans le dialogue et mesurer l'acceptabilité de nos décisions", affirme Christiane Coudrier, directrice du CHU de Nantes.
"On travaille à flux tendu, avec l'impression d'être en permanence sur le fil"
Les directions s'emploient à motiver les médecins et les soignants sur le thème de la modernisation de l'hôpital. "J'ai la conviction profonde qu'on peut réorganiser un CHU dans un objectif de renforcement de la qualité, en soignant mieux pour moins cher", explique Philippe Vigouroux, qui dirige le CHU de Nancy. L'établissement va supprimer 600 postes dans les quatre ans à venir. "In fine, je n'ai pas d'autres objectifs que mieux soigner et redonner des marges de manœuvre aux personnels médical et soignant."
Au ministère de la santé, on admet que la réorganisation de l'hôpital implique des conséquences sur l'emploi. "On est dans un processus où on alloue les moyens au plus juste, fait valoir l'entourage de la ministre de la santé, Roselyne Bachelot. Ponctuellement, cela veut dire effectivement des suppressions d'emplois au cas par cas. Mais la demande de soins augmentant, le nombre de personnels de soins ne fera, à terme, que croître." Le ministère de la santé estime qu'il faut se méfier des effets de loupe sur les situations locales : il observe qu'entre janvier et septembre 2008 l'emploi hospitalier a augmenté de 4 000 postes, pour s'établir à 876 000 agents en fonction.
Le vécu des agents hospitaliers, sur le terrain, est pourtant loin de la statistique. L'effort de restructuration hospitalière est souvent associé, pour les soignants, à un sentiment de perte. C'est d'autant plus vrai dans les plus gros établissements, qui n'ont pas forcément de culture locale forte pour atténuer les tensions.
A l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui regroupe 38 établissements, 600 postes pourraient être supprimés en 2009. Une première pour une institution jusqu'ici habituée aux augmentations d'effectifs. "D'un point de vue social, ça va être très compliqué, analyse un bon connaisseur de la situation parisienne. Il y a un risque élevé de tensions en 2009."
L'activité des établissements parisiens augmentant, la pression s'accentue sur les personnels, à qui on demande de soigner plus à moyens constants. Dans les services, le malaise se traduit par une montée de l'absentéisme. "On travaille à flux tendu, avec l'impression d'être en permanence sur le fil, explique Nadine Prigent, de la CGT-Santé. L'hôpital-entreprise, ce n'est pas pour demain : nous y sommes déjà."