Comment se faire éditer, par Christine Ferniot

lire.fr/Christine Ferniot

La publication d'un premier roman fait aussi bien le bonheur de l'auteur que celui de l'éditeur. Pour l'un, c'est l'aboutissement d'un rêve et d'un long travail d'écriture, pour l'autre, c'est un enjeu éditorial et le meilleur moyen d'enrichir un catalogue.

Comment se faire éditer, par Christine Ferniot
Mais s'il y a de nombreux candidats, les élus sont rares. Comment s'y retrouver, où s'adresser et de quelle manière? Enquête auprès des professionnels de l'édition.
Ils sont comme des chercheurs d'or, à remuer le sable pour trouver la pépite, à espérer, en ouvrant le paquet, dénicher la merveille: un Le Clézio de demain, une Sagan du futur ou une Anna Gavalda du troisième millénaire. A ce stade de la découverte, les éditeurs travaillent toujours de la même manière: ils lisent, ils trient, ils relisent, ils choisissent. Lui, elle... ou vous.
Cela fait maintenant vingt-cinq ans, que Paul Otchakovsky-Laurens, le directeur des éditions P.O.L, est le premier lecteur des manuscrits qui arrivent dans sa boîte aux lettres. Plus de trois mille textes par an, et beaucoup de retard, avoue-t-il. Cependant, la majorité de ses auteurs sont arrivés par la Poste.
Depuis trente-cinq ans, Jean-Marc Roberts, aujourd'hui directeur des éditions Stock, a sa méthode: celle qu'appliquait Jean Cayrol aux éditions du Seuil. «J'ouvre les paquets chaque matin en arrivant, je lis vite et, parfois, tout se passe en une journée. Par exemple, j'ai reçu un texte jeudi dernier, je l'ai lu le jour même puis j'ai téléphoné à l'auteur qui est venu signer le vendredi son contrat. Son roman sera publié en janvier 2010.»
Chez Gallimard, Jean-Marie Laclavetine ne travaille pas autrement: dans son bureau rue Sébastien-Bottin, deux jours par semaine, il ouvre tous les manuscrits qui lui sont adressés, et fait une lecture approfondie de ceux qui méritent attention. «Je rédige aussitôt une note de lecture pour les garder en mémoire, même s'ils ne sont pas tous publiés.»
Les jeunes éditeurs ont sensiblement les mêmes pratiques. Chez Buchet-Chastel, Pascale Gautier est seule à trier son courrier: «J'ouvre tout et tous les jours, la régularité est importante pour éviter de "rater" quelque chose. Je sais rapidement quand un texte m'intéresse ou non. Le plus difficile, en fait, ce sont les manuscrits moyens.»
Même principe chez Zulma où Serge Safran «dégrossit», lit ce qui lui paraît intéressant puis transmet les meilleurs à Laure Leroy, la directrice.
Aux éditions de l'Olivier, Alix Penent regarde tous les textes arrivés chaque semaine, en lit partiellement certains avec une lectrice salariée de la maison. Un travail considérable si l'on sait que trois mille manuscrits arrivent tout au long d'une année. Un ou deux seulement entreront dans leur catalogue de nouvelles et romans français.
Guillaume Robert, chez Flammarion, examine ce qui arrive par la Poste: «Mon vrai critère, c'est d'être surpris et c'est tellement rare.»
A l'heure du choix : petite maison ou grand groupe ?
Pour un écrivain novice, l'envoi de son premier texte tient souvent du parcours du combattant. Après l'avoir écrit, relu et soigneusement corrigé, il se pose toujours les mêmes questions: à qui adresser mon manuscrit, sous quelle forme? Faut-il l'accompagner d'une lettre circonstanciée? Quel est le délai d'attente ? Dois-je multiplier les envois, me recommander de quelqu'un, me déplacer?...
Interrogez les éditeurs, ils affirmeront la même chose: tous les manuscrits arrivés par la Poste sont lus. Ou, du moins, ouverts, triés et parcourus. A raison d'au moins quelques minutes. L'enjeu est trop important pour laisser passer l'auteur de demain et on peut même parler de course contre la montre pour ne pas se faire chiper la bonne aubaine qui enrichira le catalogue.
Selon la taille de l'éditeur, le cheminement sera différent. Si la maison est une «petite entreprise», le manuscrit sera pris en main par son directeur qui fait souvent figure de responsable littéraire.
Viviane Hamy, qui va fêter les vingt ans de sa maison, passe deux heures chaque matin à faire le tri des quinze manuscrits qu'elle reçoit par jour. «Je renifle et lorsqu'un texte m'intéresse, je l'emporte chez moi pour le lire au calme. C'est essentiel puisque la grande majorité de mes auteurs m'ont adressé leur manuscrit par la Poste: Dominique Sylvain, François Vallejo... et, en avril prochain, je vais publier un nouveau venu, Antonin Varenne, qui a procédé de la même manière. En fait, l'auteur m'avait déjà adressé quelque chose il y a deux ans, or ce n'était pas abouti. Mais je me souvenais de lui, de certaines scènes intéressantes. Je lui avais écrit pour lui préciser mes doutes et mes encouragements. Cette fois, il a renvoyé une nouvelle histoire : je vais l'éditer car elle me convainc.»
«On est toujours à la recherche de la perle rare, reprend Joëlle Losfeld, toujours accro aux manuscrits qui vont nous donner les plaisirs de la découverte. Je n'ai pas de lecteurs mais je travaille avec deux personnes qui font un premier classement, un écrémage. Elles éliminent les textes qui ne sont pas pour moi, au premier coup d'oeil.» La suite? Une lettre type pour ceux qui ne sont pas sélectionnés. Parfois, aussi, un mot plus personnel pour expliquer ce qui paraît intéressant sans être suffisamment convaincant. «Il arrive aussi que j'envoie à des confrères des textes qui méritent d'être édités mais qui ne sont pas pour moi.»
Héloïse d'Ormesson, qui fut éditrice chez Denoël et Flammarion avant de créer sa propre maison, opère de la même manière: après un premier tri parmi les dix manuscrits arrivés chaque jour, elle lit et décide de publier ou non, sans comité de lecture. «C'est notre force: nous sommes plus rapides, plus réactifs, et nous pouvons programmer plus vite.» Pour preuve, 70% de ses publications sont arrivées par le courrier.
Sabine Wespieser publie dix livres par an, en reçoit dix quotidiennement et attend toujours d'être transportée par un texte pour le publier. «En sept ans, je n'ai pas retenu un seul livre arrivé par la Poste de façon totalement inconnue. Pourtant, j'ouvre tout ce qui m'est adressé, je garde cette curiosité de lectrice.»
Aux éditions de Minuit, chez Tristram, Verticales ou au Rouergue, on retrouvera ces mêmes exigences, ces mêmes principes. Mais la préconisation qui revient comme un refrain, c'est la connaissance du catalogue éditorial.
S'intéresser à la production
«Je reçois trop de manuscrits de gens qui ignorent complètement ce que je publie», regrette Paul Otchakovsky-Laurens. Or, pour l'auteur en herbe, cet envoi à l'aveugle est du temps et de l'énergie perdus. «Il y a trop d'erreurs d'aiguillage, enchaîne Sabine Wespieser, nous ne sommes pas un service public, ni un atelier d'écriture.» «Avant d'envoyer un texte, poursuit Laure Leroy chez Zulma, le mieux est d'aller faire un tour en librairie, de regarder ce que chacun d'entre nous publie pour savoir à qui s'adresser.» «Nos catalogues sont des repères, il faut les suivre en priorité», poursuit Joëlle Losfeld. Alix Penent, de L'Olivier, regrette que la moitié des envois arrivent par hasard, selon les adresses des Pages jaunes.
Mieux vaut se montrer plus vigilant. Inutile d'adresser des récits régionaux, de la poésie, des livres de cuisine, d'histoire ou de la science-fiction si l'éditeur ne publie que des romans français contemporains. En revanche, l'envoi du manuscrit en même temps à plusieurs maisons est monnaie courante et gain de temps.
Cet agacement bien légitime des éditeurs fait partie des erreurs à éviter. Et, s'il n'y a pas de vraies recettes pour séduire un professionnel, il y a des règles à respecter pour accentuer les chances.
Gardez-vous d'adresser votre texte par CD ou par mail, il ne sera pas ouvert. Les éditeurs préfèrent une sortie papier et ne lisent pas les premiers textes sur leur ordinateur. Il faut donc l'envoyer correctement tapé, sans ratures ni rajouts et relié sobrement sans oublier d'y ajouter son nom et son adresse.
La lettre d'accompagnement peut être un sujet de discorde. Pour certains, cette lettre est inutile, l'oeuvre seule compte et la présentation la plus simple reste la meilleure. Mais pour d'autres, elle est comme une introduction, une image condensée de ce qui va suivre.
Ainsi, Alice Déon, à La Table ronde, a été séduite par la lettre d'Antoine Broto. «Elle était tellement touchante, modeste, qu'elle donnait envie de lire le texte tout de suite.» Et si le petit mot de présentation n'est qu'un accessoire, il peut être engageant ou repoussant. «Parfois, ce sont de véritables salmigondis», décrit Viviane Hamy ou, à l'inverse, des «preuves de confiance», confie Jean-Marie Laclavetine qui lit les lettres d'accompagnement et tente d'y répondre le plus souvent possi-ble. «Cette démarche d'envoyer son oeuvre à un éditeur a toujours quelque chose d'estimable, on ne peut pas la prendre à la légère.» Même son de cloche chez Alix Penent, de L'Olivier: «Elles sont souvent des indices, comme une entrée en matière.»
Si les manuscrits ne sont plus écrits à la main (quoique), il arrive des situations surprenantes: un manuscrit écrit recto verso sans aération (une erreur commune) accompagné de photos, de chocolats ou même de pots de confiture (chez Gallimard)!
Le service des manuscrits
Si votre choix se porte sur les grandes maisons, de Grasset à Gallimard, Le Seuil, Actes Sud, Flammarion ou Albin Michel, la filière est double: envoyer son texte à l'un des éditeurs de la société ou l'adresser sans préciser l'interlocuteur.
Le service des manuscrits est alors le premier filtre. Généralement, un lecteur fait le tri, élimine certains textes qui, de toute évidence, ne correspondent pas à «l'esprit de la maison», puis redistribue les élus à d'autres lecteurs spécialisés. Certains de ces lecteurs sont salariés, d'autres sont plus occasionnels (et sont payés 35 euros par fiche de lecture). Joël Schmidt est le plus ancien lecteur de la profession: cinquante ans au service de ces premiers textes et le même enthousiasme à l'heure d'ouvrir et de lire pour chercher la «pépite». «J'aime ce dialogue muet avec quelqu'un qu'on ne connaît pas et qui ne vous connaît pas», souligne le vétéran.
C'est Lina Pinto, la responsable du service des manuscrits, qui fait cette répartition chez Albin Michel. Elle ne livre pas de rapport de lecture mais distribue aux différents lecteurs. «Ensuite, reprend Joël Schmidt, je lis chaque texte, je fais une longue fiche avec le résumé de l'histoire puis sa critique.»
Joël Schmidt fait également partie du comité de lecture qui se réunit chaque semaine, le mercredi matin. Autour de la table, il peut y avoir jusqu'à vingt membres: éditeurs, directeurs de collection, mais aussi commerciaux, service de presse, publicité... Chacun vient défendre ses poulains, échanger des textes pour élargir les avis de lecture, évoquer le présent mais surtout l'avenir. Un programme se prépare plus d'un an à l'avance et certains romans exigent un travail complémentaire qui prend parfois du temps.
D'autres lecteurs sont extérieurs comme Catherine L., étudiante en lettres, qui lit entre trois et cinq manuscrits par semaine et rédige aussi des fiches de lecture circonstanciées pour différents éditeurs de fiction. La grille est toujours la même: description de l'intrigue, originalité, adéquation avec l'époque, appréciation du style. «Le mieux est de lire dans la continuité et de rédiger le commentaire. Cette fiche servira au directeur éditorial pour savoir s'il doit donner suite. Lorsque je suis enthousiaste, le texte est remis en lecture durant le comité auquel je n'assiste pas. Il faut au moins trois lectures concordantes pour se faire une opinion.» Joël Schmidt tempère notre enthousiasme avec des chiffres drastiques: Albin Michel reçoit plus de neuf mille manuscrits par an, neuf cents sont mis en lecture et seulement un ou deux seront publiés! Cette équation se retrouve partout dans les grandes maisons qui affirment pourtant que le premier roman est un vivier d'auteurs et représente l'avenir littéraire. «Nous avons tous envie de découvrir l'écrivain de demain, reprend Martine Saada au Seuil, et le premier roman est le signe fort de la vitalité d'une maison.»
Chez Grasset, Martine Boutang (qui travaille dans la maison depuis vingt-deux ans) est à la fois éditrice et responsable des manuscrits. La première à ouvrir les paquets et à repérer les auteurs. «Je vois trois catégories: les mauvais, les excellents et ceux qui sont entre les deux. Les uns seront renvoyés avec une lettre type. Pour les seconds, je les défendrai en comité de lecture où ils circuleront. Il faut en moyenne quatre ou cinq lectures favorables pour qu'ils soient publiés. Enfin, pour ceux qui sont presque bons, j'appelle l'auteur pour parler de son livre, l'aider à le retravailler.»
Mais à l'heure où l'édition est une entreprise capitaliste - presque - comme une autre, l'inquiétude reste l'échec commercial. La plupart des premiers romans se vendent entre trois cents et trois mille exemplaires et ce pari sur l'avenir est une question de moyens. Pour les grandes maisons, c'est le succès d'Amélie Nothomb ou de Bernard Werber qui permet de financer ces «risques commerciaux» et de prendre le temps de la découverte et, souvent, du travail sur le texte original. Pour les petits éditeurs, c'est la délicate balance entre les auteurs installés et les nouveaux venus.
Des pistes de travail
Chaque année, sur les milliers de textes envoyés, seule une poignée sera donc publiée et un petit nombre obtiendra au moins les encouragements des éditeurs.
A L'Olivier, Alix Penent rencontre une bonne dizaine d'auteurs dont les textes ne sont pas forcément aboutis mais dont l'intérêt lui semble évident. «Nous ne leur signons pas de contrat mais leur indiquons des pistes de travail, entamons un suivi de lecture qui prendra du temps. C'est un pari sur l'avenir.»

Pour Paul Otchakovsky-Laurens, ces rendez-vous sont un peu comme des promesses: «Parfois, on ne publie pas le premier livre présenté mais la discussion est souvent fructueuse et l'auteur peut revenir avec le manuscrit retravaillé ou un nouveau texte abouti.» Jean-Marie Laclavetine chez Gallimard parle avec ces auteurs dont les oeuvres sont en devenir. Chez Albin Michel, l'éditrice Claire Delannoy a plus d'une fois dialogué avec des inconnus dont le premier roman possédait ce «quelque chose» qui permet d'avoir confiance: «Ce ping-pong est enthousiasmant car il devient une oeuvre qu'on a envie de défendre.»

Défendre, c'est le verbe qui revient souvent dans la bouche des éditeurs de littérature. Myriam Anderson, chez Actes Sud, le dit avec passion: «Quand nous lisons un texte qui nous transporte, nous nous mobilisons, il y a un élan d'enthousiasme qui nous permettra de défendre le livre face au monde entier.» Et Alice Déon, à La Table ronde, renchérit: «Certes, mon choix est subjectif, c'est une émotion, un enthousiasme que je veux communiquer à tous ceux que je vais rencontrer.»

Si la publication bisannuelle de premiers romans (en septembre et janvier) est devenue un rituel et la preuve d'une bonne santé éditoriale, la course à l'auteur est jalonnée d'écueils. En investissant sur le premier livre, l'éditeur compte aussi faire parler de ce nouvel arrivant sur la scène et ne pas travailler à fonds perdu. Sur les quelque cent trente premiers romans publiés chaque automne, une vingtaine seulement atteint les deux mille exemplaires vendus et la plupart plafonnent à cinq cents. Mais il y a les bonnes surprises: des romans comme ceux de Tristan Garcia ou de Jean-Baptiste Del Amo chez Gallimard ou de Mathias Enard chez Actes Sud en sont la preuve. Quelques années auparavant, on citait en exemple Les champs d'honneur de Jean Rouaud, devenus prix Goncourt, ou les nouvelles d'Anna Gavalda, Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part au Dilettante, vendues à plus de deux cent mille exemplaires.

Depuis quelques années, la médiatisation est entrée dans le monde feutré du livre. Un auteur jeune et beau parleur aura des chances de passer à la télévision, d'avoir sa photo sur la jaquette de couverture et de séduire un public qui ne lit pas forcément des romans. Florian Zeller chez Flammarion en est un exemple frappant. Depuis sa découverte, son éditeur, Guillaume Robert, s'amuse de voir des «clones de Florian Zeller» tenter leur chance auprès de lui. «Mais ce que je cherche, ce sont de bonnes histoires contemporaines, une écriture, de l'humour et non des auteurs people qui se lancent dans le roman pour la vie qui va avec.»
La bonne recette
C'est l'auteur, répondent les professionnels. Pas une savonnette qu'on choisit pour son joli minois et son histoire à la mode. Ni le romancier d'un seul livre, car l'édition s'inscrit dans la durée.
«Sans théoriser, j'aime qu'un nouveau texte vienne mettre en cause ma culture, mon paysage», précise Paul Otchakovsky-Laurens. «Qu'il me déstabilise», dit Viviane Hamy... «Qu'il réponde à des questions auxquelles moi je ne peux pas répondre», précise Joëlle Losfeld... «Qu'il soit singulier», poursuit Martine Saada... Tout cela ne constitue pas les ingrédients d'une bonne recette et rappelle que l'écriture n'est pas un passe-temps pour les professionnels du livre qui chaque matin espèrent le coup au coeur. «Au fond, l'une des plus grandes règles de ce métier reste l'humilité», dit très justement Martine Boutang chez Grasset. Une règle double qui s'applique à l'éditeur comme à l'auteur.


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