Conseils de guerre pour la 1re journée de l'ère Obama
Le Point.fr/Patrick Sabatier
Le président Barack Obama s'est mis au travail dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche dès mercredi à 8 h 35, après avoir terminé à une heure du matin le marathon obligé des dix bals officiels qui ont suivi son investiture, mardi, à midi, devant 2 millions de personnes réunies sur le Mall de Washington .
C'est aux dirigeants du Proche-Orient - le président égyptien Hosni Moubarak, le roi de Jordanie Abdullah, le Premier ministre israélien Ehoud Olmert et le président palestinien Mahmoud Abbas - que le nouveau président a passé ses tout premiers coups de fil . Le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza ne lui a pas laissé le loisir de remettre à plus tard l'"engagement actif dans la recherche d'une paix israélo-palestinienne dès le début de (son) mandat" auquel il s'était engagé, comme l'a rappelé le porte-parole de la Maison-Blanche Robert Gibbs. Pour tenter de consolider le cessez-le-feu fragile décrété à Gaza à la veille de son entrée à la Maison-Blanche et de relancer le processus de négociations entre Israël et les Palestiniens, son entourage indique qu'il devrait très rapidement nommer un émissaire pour la région, probablement l'ex-sénateur George Mitchell, d'ascendance libanaise et médiateur sous Clinton pour l'Irlande du Nord. Il devrait également dépêcher l'ex-secrétaire d'État adjoint Richard Holbrooke pour s'atteler à faire baisser la tension entre l'Inde et le Pakistan après les attentats de Bombay et à explorer les conditions d'une paix en Afghanistan, et désigner un envoyé spécial pour ouvrir le dialogue avec l'Iran, peut-être Denis Ross, ex-envoyé spécial de Bill Clinton pour le Moyen-Orient.
Dès mercredi après-midi, il a réuni son conseil de guerre pour examiner la situation en Irak et en Afghanistan, ainsi que la conduite de la guerre au terrorisme. Il a rassemblé autour de lui à la Maison-Blanche le vice-président Joe Biden, le secrétaire à la Défense Robert Gates - un ancien de l'équipe de George W. Bush -, le chef d'état-major interarmées, l'amiral Michael Mullen, qui occupait déjà ce poste sous Bush, et le proconsul américain pour le Moyen-Orient, le général David Petraeus, artisan sous Bush de l'"escalade" (le "surge") en Irak. Le chef du corps expéditionnaire à Bagdad, le général Ray Odierno, a participé à la réunion par vidéoconférence. À l'ordre du jour : comment mettre en oeuvre la promesse de retirer les troupes combattantes d'Irak dans les seize mois promis par Obama, combien de soldats laisser sur place après cette date et comment lancer en Afghanistan une "escalade" inspirée de l'exemple irakien en y transférant une partie - on parle de 20 à 30.000 hommes - des forces retirées d'Irak et en poussant les alliés (dont la France) à s'y engager plus nettement ?
Obama veut prendre les problèmes à bras-le-corps
Dans son discours d'investiture mardi, Obama, dont les critiques contre l'invasion de l'Irak avaient soulevé les espoirs de la gauche antiguerre, a très clairement indiqué qu'il entendait poursuivre ce qu'il a qualifié de "guerre" contre le terrorisme islamiste, "un réseau de haine et de violences aux vastes ramifications", et qu'il était, comme son prédécesseur, déterminé à "vaincre" al-Qaeda, ses satellites et ceux qui les applaudissent et les soutiennent. La gestion immédiate de la stratégie et de la politique étrangère, dont Obama avait évité de se mêler tant que George Bush était en place (selon le principe qu'il n'y a qu'un seul président à la fois), a cependant été retardée par le délai dans la confirmation de la sénatrice de New York, Hillary Clinton, au poste de secrétaire d'État, bloquée au Sénat par des batailles d'arrière-garde de certains républicains qui disaient s'inquiéter des possibles interférences entre elle et les activités humanitaires de son époux, l'ex-président Bill Clinton, à travers la fondation de ce dernier, avant que sa nomination ne soit finalement approuvée mercredi soir.
La volonté du président Obama de prendre les problèmes à bras-le-corps et de démarrer son mandat sur les chapeaux de roues est également freinée par d'autres confirmations qui traînent : celles de son secrétaire à la Justice Eric Holder, de son secrétaire à la Santé Tom Daschle et, surtout, celle de son secrétaire au Trésor, Tim Geithner qui était mercredi sur le grill au Sénat après avoir reconnu avoir "omis" de payer une partie de ses impôts. L'anxiété sur la santé du système financier a été relancée par la chute brutale et spectaculaire de la Bourse de Wall Street qui a accueilli, mardi, l'entrée en fonction d'Obama : - 5 %, la plus forte baisse un jour d'investiture d'un chef de l'État. Les milieux financiers, selon le Wall Street Journal, redoutent que la nouvelle administration n'ait bientôt plus d'autre choix que de nationaliser les banques, et les engagements du nouveau président à renforcer la régulation des marchés ne sont évidemment pas du goût de ces derniers.
La première journée d'Obama a donc également été marquée par une réunion de ses conseillers économiques pour décider de l'utilisation à faire de la seconde tranche de 350 milliards de dollars d'aide à l'industrie financière - débloquée par Bush à la demande d'Obama juste avant le transfert du pouvoir -, alors que la première n'a pas eu d'effet notable sur la paralysie du crédit. Ils ont également discuté du plan de relance de 800 milliards de dollars que le nouveau président souhaite faire adopter par le Congrès au plus vite, mais qui se heurte, déjà, à des résistances parmi les parlementaires.
La nouvelle "ère" Obama
Barack Obama n'en a pas moins marqué le premier jour de sa "nouvelle ère" par des mesures symboliques, mais significatives de l'orientation nouvelle qu'il veut donner à la politique américaine. Dès mardi soir, sur ordre du secrétaire à la Défense, les procès engagés contre les suspects de terrorisme détenus à Guantanamo devant les tribunaux spéciaux militaires avaient été interrompus sine die en attendant que le département de la Justice décide de la manière de mettre en pratique l'engagement à fermer le centre de détention installé sur la base militaire à Cuba. Le Président devrait signer jeudi le décret ordonnant la fermeture de Guantanamo d'ici un an. Mardi, dans son discours, il a affirmé sa volonté de ne pas se laisser enfermer dans "le faux dilemme entre le respect de (leurs) idéaux et la protection de (leur) sécurité" qui avait été invoqué par l'administration Bush pour justifier l'ouverture de Guantanamo, comme l'usage de la torture contre les prisonniers soupçonnés de terrorisme.
Mercredi, Barack Obama a également signé au cours d'une petite cérémonie à la Maison-Blanche ses premiers décrets présidentiels ("executive orders") pour définir les règles de fonctionnement et de transparence de son administration. Les principaux membres de son équipe ont vu, crise oblige, leurs salaires gelés. Les règles éthiques ont été renforcées, pour lutter contre la pratique du "tourniquet" qui permet aux dirigeants politiques de passer au privé et vice-versa, et le contrôle des liaisons souvent incestueuses entre lobbyistes et responsables du gouvernement a été renforcé. "La transparence et le respect de la loi seront les critères principaux" de l'administration, a promis le Président, une rupture nette avec l'arbitraire et le secret cultivés par l'administration Bush.
Comme pour mieux marquer le changement d'ère et la volonté de ne pas traîner, le site Internet de la Maison-Blanche a été purgé de toute information sur l'administration Bush, et remplacé par un nouveau site consacré à la présidence Obama, dans la minute même qui a suivi la passation de pouvoir mardi, à midi et une minute exactement.