Craig le magnifique
Le Point.fr/Florence Colombani
La sortie des « Insurgés » le 14 janvier vient rappeler que Daniel Craig, James Bond 007, est aussi un comédien remarquable. Dans l’esprit du public, il n’a plus qu’un nom - James Bond - et une allure en conséquence, mâchoire serrée, regard d’acier, pectoraux découpés à la serpe.
A 40 ans tout juste, Daniel Craig est un cas à part, une superstar de films d’action issue de la meilleure tradition théâtrale britannique. Fils d’un propriétaire de pub, il quitte l’école à 16 ans, engagé dès sa première audition par le National Youth Theatre. Il étudie ensuite à la célèbre Guildhall School of Music & Drama, où il a pour condisciple un certain Ewan McGregor. La formation est des plus sérieuses, bien loin des concours de « Monsieur Univers » que fréquentait un Sean Connery bodybuildé avant d’être choisi pour jouer le héros de Ian Fleming. La BBC lui offre une célébrité nationale : en 1996, il est le personnage préféré du public dans la série à succès « Our Friends in the North ». L’année suivante, prouvant l’étendue de son registre, il campe George Dyer, l’amant dépressif de Francis Bacon. Le tout entre deux pièces sur les planches de l’Old Vic et du Royal National Theatre.
On s’étonne donc quand ce comédien sérieux, homme de peu de mots, jaloux de sa vie privée-même si on lui prête des aventures avec Kate Moss ou Sienna Miller -, répond à l’appel de Hollywood. Il passe avec aisance de l’adaptation d’un jeu vidéo (« Lara Croft : Tomb Raider », 2001) à la fantasmagorie saturée d’effets spéciaux façon « Seigneur des anneaux » (« A la croisée des mondes », 2007). Plus qu’un plan de carrière, il semble que ce soit le pragmatisme qui guide Daniel Craig : « Je prends le travail où il se trouve, expliquait-il récemment au Vogue américain, et j’applique la même technique à tous mes rôles. Que je joue Tuvia Bielski ou Bond, la question est : d’où vient cet homme ? Quelles sont ses souffrances, ses motivations ? » Si la méthode marche, c’est aussi que sa simple présence physique suffit à capter l’attention. Que Craig apparaisse à l’écran, visage grave et voix métallique, et le tour est joué : il est de ces héros implacables que seule une force extérieure peut faire vaciller, que ce soit le dealer de « Layer Cake » (de Matthew Vaughn, 2004), l’agent du Mossad de « Munich » (de Steven Spielberg, 2005) ou Tuvia Bielski, le juif révolté, décidé à sauver des vies envers et contre tous.
Plus rarement, lorsque son personnage est un être fragile, un asocial, un écorché vif, Craig laisse tomber le masque. La voix se déchire, les épaules se voûtent, la belle assurance disparaît. Il est bouleversant en fils mal-aimé de Paul Newman dans « Les sentiers de la perdition » (2002), déchirant en meurtrier boiteux dont s’éprend Truman Capote dans « Scandaleusement célèbre » (2006), étonnant en amant éperdu de sa belle-mère sexagénaire dans « The Mother » (2003). Mais le succès de la franchise Bond est tel que ces rôles d’hommes en rupture se font bien rares. Qui osera encore ébranler la statue, mouiller de larmes le regard bleu acier ?
Dans ses projets immédiats, le comédien a bien un scénario qui pourrait donner à voir toute l’étendue de son talent. Il doit jouer Lucifer dans un film de l’Amé ricain Dan Harris. On ne saurait lui rêver meilleur rôle : rejeté, incompris et blessé, l’ange déchu a tout pour chasser le Bond hors de Daniel Craig.