Dans le film "Much Loved", interdit au Maroc, les prostituées sont des guerrières

AFP - Sophie LAUBIE

Paris - Avec "Much Loved", le cinéaste Nabil Ayouch a voulu donner "une place" aux prostituées, ces femmes "invisibles" dans la société marocaine qu'il voit comme des "guerrières". Jugé immoral, le film a été interdit dans son pays.

Projeté cette semaine en compétition au Festival du film francophone d'Angoulême (sud-ouest de la France), en présence du réalisateur et de l'actrice Loubna Abidar, "Much Loved", qui sortira en France le 16 septembre, raconte l'histoire de Noha, Randa, Soukaina et Hlima.

Clients, soirées avec alcool et parfois danses lascives, mais aussi moments de complicité presque enfantine entre filles, visites compliquées à leur famille, échappée au bord de la mer... Le film raconte de manière réaliste et sensible les joies et les peines de ces femmes au langage parfois cru, mais aussi en souffrance dans une société qui les accepte mal.

"C'est un film qui parle non pas de la prostitution au sens générique du terme, mais de quatre femmes", a expliqué dans un entretien à l'AFP à Paris le réalisateur franco-marocain de 46 ans.

"Ce ne sont pas des femmes que j'avais envie de présenter comme des victimes. Elles mènent une vie dure, violente", mais "ce sont des guerrières, parce que malgré tout, elles occupent une place extrêmement importante, dans leurs rapports aux hommes et à la famille", affirme l'auteur d'"Ali Zaoua", sur les enfants des rues au Maroc, et des "Chevaux de Dieu", sur le parcours de jihadistes.

Nabil Ayouch a rencontré "200 ou 300 prostituées" pour réaliser "Much Loved".

"Ca a duré un an et demi", raconte-t-il. "Elles se sont racontées un peu comme on se raconte à un psychologue".

Il dit avoir été "assez longtemps interpellé, voire même fasciné" par "le rôle que ces femmes jouent dans la société, un rôle majeur, un rôle pilier, un rôle nié surtout".

Pour lui, la prostitution "est un sujet dont on parle beaucoup" au Maroc, "mais pas au cinéma, et en tout cas pas de manière aussi réaliste".

"J'avais le sentiment de l'aborder d'une manière qui pouvait et devait j'espère en tout cas interpeller", ajoute-t-il. "Parce que ces femmes dans leur représentation, que ce soit au cinéma, dans la littérature ou la peinture, sont quasiment invisibles dans le monde arabe. Et il me semblait important de leur donner une place, tout simplement, dans cet espace là".

-' Briser le miroir '

"Much Loved", qui a été présenté au dernier Festival de Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, devait initialement sortir en salles à l'automne au Maroc.

Mais des extraits sur l'internet comportant des danses suggestives et des propos à connotation sexuelle ont suscité une controverse et de violentes attaques contre l'équipe du film, dans un pays aux moeurs conservatrices.

Le gouvernement marocain a annoncé fin mai que le film serait interdit de projection car il comporte un "outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine".

Nabil Ayouch dit avoir été "surpris par l'ampleur" de la polémique, "que tant de gens s'en soient emparés de cette façon là".

"Même si j'ai aussi reçu de nombreux soutiens au Maroc, j'ai été surpris par la haine, la violence, par ce que cela a révélé", ajoute-t-il.

"Quand on tend un miroir à une société, on peut faire le choix de se regarder ou de briser le miroir. Là en l'occurrence, ceux qui ont brisé le miroir n'ont rien réglé du tout", estime-t-il.

Or, pour lui, "avec ce film, on a l'occasion de porter sur le devant de la scène un vrai sujet, qui a des implications majeures au niveau sociétal".

Nabil Ayouch garde cependant "toujours espoir que le film puisse sortir au Maroc, puisse être débattu", et qu'il y ait "à un moment donné ou à un autre" une "place" pour "Much Loved".

"Même si la prostitution est universelle, je n'ai pas envie de m'imaginer que ce film (...), qui raconte à ce point une partie de cette société, ait une vie à l'étranger, dans le monde entier, sauf au Maroc".
 


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