Des Irakiens portent dans leur chair les secrets révélés par WikiLeaks
AFP
Bagdad - Fatima Razak n'a pas eu besoin de prendre connaissance des documents publiés par WikiLeaks vendredi pour avoir conscience des blessures laissées par l'occupation américaine en l'Irak: elle les porte sur son visage.
Bloquée dans un embouteillage causé par un des nombreux points de contrô le établis par l'armée américaine après l'invasion menée en 2003, elle attendait nerveusement avec des centaines d'autres véhicules.
Comme chaque jour, elle était dans la crainte des voitures piégées conduites par des kamikazes, des convois américains écrasant ce qui les gênait sur leur chemin, et des GI's en faction prêts à ouvrir le feu à tout moment sur quiconque leur paraissait suspect.
"Un Humvee américain s'est approché du point de contrô le. Un de ses occupants a tiré sans aucune raison apparente, et une balle m'a atteint au visage", raconte-t-elle à l'AFP, montrant du doigt la cicatrice qui la défigure, de la bouche à l'oreille.
"Je ne sais pas comment je peux me regarder dans un miroir. Je suis une femme, j'ai un mari et un enfant", lance-t-elle.
Les documents secrets rendus public par WikiLeaks couvrent la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009, après l'invasion américaine de mars 2003 qui a renversé le régime de Saddam Hussein.
Ces documents révèlent que "des centaines" de civils ont été tués à des points de contrô le américains.
Ils montrent que le conflit a fait 285.000 victimes, dont 109.032 morts en Irak, selon un communiqué de WikiLeaks, qui précise que plus de 60% sont des civils, soit 66.081 personnes. Sur ce total, 15.000 décès de civils n'avaient jusqu'à présent pas été révélés, selon WikiLeaks.
Un bilan américain publié fin juillet faisait état de 77.000 Irakiens civils et militaires tués de 2004 à août 2008.
En septembre 2007, l'année où Mme Razak fut défigurée, les documents de WikiLeaks font état de la mort à un barrage d'une fillette de neuf ans, rapporte la chaîne de télévision al-Jazira.
Elle a été tuée quand la voiture d'un Irakien s'était approchée trop près d'une patrouille américaine. "L'un des soldats a tiré un coup de semonce avec son M4 mais la balle a ricoché et tué une Irakienne" de neuf ans, selon un des 40.000 documents.
"Quand les Américains sont arrivés, beaucoup de gens les ont accueillis à bras ouvert, mais ensuite ils ont vu leur changement d'attitude et se sont retournés contre eux", a expliqué cheikh Najeh al-Fatlawi, un religieux chiite qui dirige une école à Bagdad.
La présence américaine n'est plus visible dans les rues de Bagdad depuis l'été 2009, mais les barrages sont toujours là, tenus par l'armée et la police irakiennes. Les embouteillages sont toujours aussi nombreux, mais il est très rare de voir les forces de sécurité ouvrir le feu.
Les 50.000 soldats américains qui restent en Irak jusqu'à fin 2011 sortent rarement de leurs bases qui sont des petites cités avec des salles de sports, des restaurants et des magasins qui vendent de tout, des chaussures jusqu'aux bijoux.
Cette semaine, un journaliste de l'AFP s'est trouvé dans un convoi américain à Bassora, pour l'inauguration d'un hô pital dans ce port méridional. Sur la route un jeune officier, fraîchement arrivé dans le pays, s'est étonné de voir la cohorte des voitures se tenir à distance du convoi.
"C'est parce qu'il y a un soldat dans la tourelle qui a son arme pointée vers eux", lui a répondu un autre gradé plus expérimenté. Les Irakiens ont payé cher pour apprendre cette leçon.