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Tigres noirs, antilopes à quatre cornes, écureuils géants, crocodiles agresseurs, cerfs aboyeurs, macaques rhésus – voici un bref aperçu de la faune qui habite Nokrek, Pachmarhi et Similipal. Les gestionnaires de ces trois nouvelles réserves de biosphères indiennes comptent sur le soutien international pour garantir les droits traditionnels des habitants des forêts tout en conservant les espèces sauvages.
Un baldaquin vert tissé de forêts luxuriantes recouvre la Réserve de biosphère de Nokrek dans l’État du Meghalaya du nord-est de l’Inde. Point culminant des collines de Garo, à une altitude de 1 418 mètres, Nokrek se distingue par de stupéfiants paysages montagneux et des écosystèmes qui n’ont pas été perturbés par des activités humaines. La zone abrite des espèces sauvages, notamment des éléphants, tigres, léopards et gibbons houlocks, ainsi que de rares orchidées qui, pour la plupart, n’ont pas encore été étudiées. Nokrek abrite également un « sanctuaire génétique » visant à préserver de rares variétés d’agrumes, notamment l’orange sauvage indienne (citrus indica), qui pourrait servir de pool de gènes pour les agrumes produits à des fins commerciales.
Situé à l’écart du monde, Nokrek a acquis une reconnaissance internationale en mai dernier. À l’instar de deux autres réserves de biosphère indiennes – Pachmarhi dans l’État de Madhya Pradesh, au centre du pays, et Similipal dans l’État d’Orissa, à l’est –, il figure parmi les 22 nouveaux sites récemment inclus par l’UNESCO dans son Réseau mondial de réserves de biosphère. Leur adhésion au Réseau porte à 7 le nombre de sites indiens, sur un total de 15 réserves de biosphère pour l’ensemble du sous-continent.
Ce nouveau statut devrait avoir un impact considérable sur la conservation de ces réserves et le suivi des projets visant à trouver le juste équilibre entre le développement économique et le développement humain.
La difficulté pour ces trois réserves de biosphère indiennes consiste à parvenir à harmoniser activités humaines et protection environnementale, ce qui constitue précisément l’enjeu principal du Programme sur l'homme et la biosphère de l’UNESCO (MAB).
« Véritable consécration pour la région, l’intégration de Nokrek dans le Réseau mondial aidera les responsables locaux à identifier des moyens permettant aux populations locales à la fois d’améliorer leur qualité de vie et de mettre en valeur leur superbe environnement naturel », déclare Vinod K. Nautiyal, responsable en chef de la conservation des forêts de l’État du Meghalaya.
Il souligne que l’aide apportée par les experts internationaux profiterait grandement à Nokrek, en espérant que cette nouvelle désignation contribuera aux activités de recherche et de documentation des paysages, écosystèmes, espèces et variations génétiques, et comblera les lacunes des stratégies de préservation et de développement durable déjà mises en place.
Selon La Société botanique de l’Inde, institution gouvernementale qui a une très vieille tradition, 10 % des espèces végétales à Nokrek sont rares ou menacées. Les scientifiques redoutent qu’une intervention humaine accrue autour de la zone désignée comme « sanctuaire génétique » n’affecte l’équilibre naturel de l’habitat. La déforestation de grande échelle et la culture sur brûlis ont entraîné l’érosion des sols, de même que les cultures sélectives de variétés d’agrumes rentables sur le plan commercial dans des zones proches de la réserve en menacent la diversité génétique.
D’une superficie de 47,48 km², l’aire centrale de Nokrek abrite les sources de nombreux fleuves et ruisseaux pérennes, notamment les fleuves Ganol, Bugi, Dareng, Rongdik et Simsang. Sur la rive droite de ce dernier, creusée dans une falaise, la Grotte de Siju figure parmi les plus grandes attractions touristiques de la région. Troisième grotte la plus profonde de l’Inde, elle est appelée « Dobakhol » par la population locale, ce qui veut dire « grotte des chauves-souris ». Elle est constituée d’innombrables chambres et labyrinthes dont l’exploration intégrale reste à mener.
Pachmarhi : sanctuaire botanique et religieux
Située au cœur de l’Inde, la réserve de biosphère de Pachmarhi englobe trois parcs : Bori, Satpura et Pachmarhi. Dans son aire centrale, elle renferme également la Réserve de tigres de Satpura, ainsi qu’une pittoresque station de montagne, ancien état-major régional installé par les Britanniques.
Ses chutes d’eau, ravins et gorges sculptés dans la terre de grès rouge, ses forêts denses de tecks et de sals parsemées de bosquets de bambous sauvages font de Pachmarhi un véritable paradis pour botanistes et géologues. Le site recèle également des peintures rupestres dans des abris sous-roche dont certaines seraient vieilles de 10 000 ans. Il revêt aussi une importance culturelle et religieuse pour les pèlerins hindous qui l’envahissent chaque année lors des fêtes de Maha Shivratri, en mars, et de Nagpanchmi, en juillet et août. L’endroit est parsemé de temples et d’anciennes églises coloniales.
Pachmarhi est dotée de sept différents types de forêts, notamment tropicales, humides et sèches, ainsi que de hautes forêts subtropicales. Un climat de mousson à trois saisons y favorise une végétation riche et luxuriante. Des fougères, orchidées et autres herbes rares aimant l’humidité y foisonnent grâce aux cours d’eau permanents et aux gorges très sombres. Des études attestent 71 espèces de fougères et végétaux apparentés, ainsi que 1 190 espèces angiospermes (plantes à fleurs).
La végétation dense de la forêt de Pachmarhi offre un habitat idéal à plusieurs espèces animales sauvages : le tigre, la panthère, le sanglier sauvage, le cerf aboyeur, le macaque rhésus et le crocodile. La région abrite plus de 50 espèces mammifères, 254 espèces aviaires, 30 espèces reptiliennes et 50 espèces de papillons.
La réserve, d’une superficie totale de 4 926 km², comprend 511 villages dont la principale source de revenus est l’agriculture. Le braconnage, la déforestation et les conflits entre humains et animaux demeurent les problèmes majeurs.
« La reconnaissance internationale que constitue l’adhésion de la réserve au Réseau mondial procurera une aide financière considérable nécessaire à l’amélioration de l’infrastructure », estime Nayan Singh Dungriyal, directeur sur le terrain de la Réserve de biosphère de Pachmarhi. « Cela nous permettra d’adopter de nouvelles approches de conservation et de développement durable. »
Les tigres de Similipal
La Réserve de biosphère de Similipal, autrefois lieu de chasse royale du Maharaja de Mayurbhanj, englobe la réserve de Similipal et les réserves forestières voisines de Nato et Satkoshia, sur une superficie totale de 5 500 km². Les mesures de protection durables et les initiatives de gestion mises en œuvre dans le cadre du programme « Projet tigre » du gouvernement indien ont permis d’inverser le déclin de la population des tigres dans la Réserve de tigres de Similipal qui abrite près de la moitié des tigres de l’État d’Orissa sur la côte est de l’Inde. Tirant son nom des capoquiers (cotonniers de soie) qui y fleurissent, la réserve de biosphère de Similipal est un laboratoire vivant pour les scientifiques de l’environnement. Ses écosystèmes englobent des forêts luxuriantes, des prairies et zones humides, habitées par des tigres (notamment les tigres noirs et brun foncé), mais également des éléphants, panthères, antilopes à quatre cornes, écureuils géants et crocodiles agresseurs. Elle abrite 94 types d’orchidées et plus de 3 000 autres espèces végétales.
La population tribale, qui représente 73 % des quelque 450 000 habitants de la région, vit de l’agriculture, de la chasse et de la cueillette de produits forestiers, mais elle a besoin d’autres sources de revenus. Le bétail est élevé en étroite proximité avec le monde sauvage, car les 75 villages tribaux sont situés à l’intérieur de la réserve de tigres. Les services forestiers doivent constamment faire face à des conflits entre humain et animaux.
« Notre première mission consiste à garantir les droits traditionnels des habitants des forêts tout en conservant les espèces sauvages » dit R. Nagaraja Reddy, responsable de la conservation des forêts d’Orissa et directeur de la réserve de biosphère de Similipal. « L’inclusion de Similipal au Réseau mondial suscitera d’importants échanges d’informations, expériences et ressources humaines. De même, elle constituera une aide substantielle aux recherches sur les écosystèmes, au monitoring et à la formation. »
Le directeur de la réserve espère que cette nouvelle désignation « attirera des financements de l’UNESCO par le biais de fonds de lancement susceptibles de démarrer des initiatives locales, d’aider à négocier des projets locaux et de mettre en place des mécanismes financiers durables, en plus de fournir des conseils ».
Pour Belinda Wright, directrice exécutive de la Wildlife Protection Society of India [Société indienne de protection de la vie sauvage], es avantages procurés par l’intégration du site dans le Réseau mondial sont, dans une grande mesure, politiques. « Cette reconnaissance mondiale poussera les autorités des États d’Orissa et de Madhya Pradesh à accorder une plus grande attention à la protection et à la gestion de ces deux réserves de tigres, ce qui devrait améliorer leurs conditions de vie », a-t-elle déclaré.
Shiraz Sidhva, journaliste indienne, correspondant du Courrier de l’UNESCO