En Italie, la bataille des enfants de migrants pour le "jus soli"

AFP

Rome - "Jus soli", ou droit du sol : dans le sillage du mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis, une formule latine est revenue d'actualité en Italie, slogan des enfants d'immigrés qui réclament l'accès automatique à la nationalité italienne.

Le 7 juin, plusieurs milliers de manifestants ont défilé à Rome pour rendre hommage à George Floyd, le quadragénaire noir asphyxié le 25 mai à Minneapolis par un policier blanc.

Dans la foule ce jour-là, des Africains, des Italiens, mais aussi des enfants et petits-enfants de migrants, nés en Italie et appelés ici "deuxième génération", ou encore "G2".

Dans la péninsule, où l'extrême droite a été au gouvernement plus d'un an en 2018-2019 après avoir été une alliée sous l'ère Berlusconi, la question migratoire est au coeur du débat politique. Mais elle tourne pour l'essentiel autour des bateaux traversant la Méditerranée et de l'accueil d'urgence.

La bataille des enfants d'immigrés est bien moins visible, même si à la faveur de Black Lives Matter, le mouvement G2 entend se relancer et a appelé à une manifestation le 19 septembre à Rome.

Ces enfants et petits-enfants de migrants partagent la langue et les codes culturels de leur pays d'accueil, mais ils ne peuvent accéder à la citoyenneté qu'à 18 ans, sous conditions et, souvent au terme d'un parcours du combattant face à l'administration.

Sur les 5,3 millions d'étrangers résidents en Italie en 2019, environ 1,3 million ont moins de 18 ans. Près de 75% d'entre eux sont nés dans la péninsule. Parmi les nationalités les plus représentées figurent l'Albanie, le Maroc, la Chine, l'Inde et le Pakistan.

Ils vivent donc toute leur minorité avec la nationalité d'origine de leur parent et une carte de séjour pour pouvoir résider sur le territoire.

"Dans ce pays, la citoyenneté ce n'est pas un droit, mais une concession", déplore Fatima Maiga, 28 ans, née en Italie et d'origine ivoirienne, co-fondatrice de l'association "Italiani senza cittadinanza" (Italiens non-citoyens), créée en 2016 et point de référence national pour les membres engagés de cette "deuxième génération".

Selon la loi sur la nationalité, qui date de 1992, un étranger né en Italie peut demander à devenir citoyen à ses 18 ans, et au plus tard avant ses 19 ans, et à condition d'avoir "résidé légalement en Italie (...) sans interruptions".

S'il rate cette fenêtre de tir, il a encore la possibilité d'obtenir une naturalisation au motif de dix ans de résidence légale, et à la condition d'attester d'un revenu minimum d'au moins 8.500 euros par an sur trois ans.

"Si dans le premier cas il s'agit de l'exercice d'un droit, encore que limité, le deuxième (la résidence de 10 ans) est (...) soumis à une évaluation au cas par cas des +mérites+ individuels du demandeur", explique à l'AFP Nazzarena Zorzella, avocate et militante.

En 2013, la ministre de l'Intégration d'alors, Cécile Kyenge, d'origine congolaise, avait assoupli ces critères de résidence. "Depuis, les controverses judiciaires autour des demandes de citoyenneté se sont réduites", constate Mme Zorzella, qui juge néanmoins toujours "obsolète" la loi de 1992.

La presse s'est récemment fait l'écho du cas de Luca Neves, cuisinier d'origine capverdienne né à Rome qui, à 32 ans, reste un non-citoyen faute d'avoir déposé sa demande à 18 ans.

A ces règles strictes s'ajoute une bureaucratie italienne, très lourde, et encore plus quand il s'agit de naturalisation.

"J'ai fait ma demande à 18 ans et j'ai dû attendre 4 ans avant de recevoir mes papiers", raconte Marwa Mahmoud, 35 ans, née en Égypte. "Je sais ce que ça veut dire de vivre comme un citoyen de fait, non de droit".

Jusqu'à ce qu'ils récupèrent leurs papiers, les adultes de la "G2" restent soumis au régime des étrangers non-européens et doivent renouveler leur carte de séjour.

Selon l'organisation "Italiens non-citoyens", il s'avère souvent difficile de récupérer actes de naissance ou casiers judiciaires dans les pays d'origine, tandis que les critères de résidence "sans interruptions" ou de revenus minimum posent aussi problème.

Fixé à un maximum de deux ans, le traitement des demandes de nationalité a été prolongé à 4 ans en 2018, par un arrêt de l'ancien ministre de l'Intérieur d'extrême droite Matteo Salvini.

Sous l'impulsion du réseau "G2", le Parti démocrate (centre-gauche) avait lancé une réforme basée sur un "jus soli modéré" (à 5 ans de résidence), réforme rejetée en 2017 à l'assemblée.

Le sujet suscite en Italie des sentiments partagés. Les sondages les plus récents (Ipsos en 2019) montrent que 53% des Italiens sont plutôt favorables à un changement de la loi.

L'extrême droite s'est toujours exprimée contre: "la nationalité, ce n'est pas un ticket pour la fête foraine", disait Salvini en 2017.

Alors que le PD a soutenu des projets de réforme modérés, son allié au gouvernement, le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème), a évité la question.

En 2019, quand le PD a annoncé son intention de remettre le sujet à l'agenda du gouvernement, Luigi Di Maio, chef du M5S, s'est dit "déconcerté": "pensons d'abord aux familles en difficulté, au travailleurs et aux entreprises".

Pour Marwa Mahmoud, la question est aussi culturelle: "ce qui manque à notre génération c'est d'être racontée, comme cela a été le cas pour nos parents. Notre condition est passée sous silence, et quand l'Italie a commencé à s'intéresser à la crise migratoire dans les années 2010, c'est comme si on avait recommencé à zéro".

"On tend à mettre tout le monde dans le même panier", continue-t-elle, "mais la condition d'un mineur non accompagné arrivé hier n'est pas comparable avec celle d'un enfant d'immigré né ou grandi ici", plaide-t-elle.

Depuis 2019 un nouveau projet de "jus soli" est en discussion au parlement. Mais la question "n'est pas prioritaire", souligne le président la commission Affaires constitutionnelles, Giuseppe Brescia, du M5S. "Il faudra du temps et il faudra aussi éviter le risque d'instrumentalisation, à droite comme à gauche".


Commentaires (0)
Nouveau commentaire :