Espagne : Carla et Nicolas Sarkozy, pour oublier la crise
courrierinternational.com/Antonio Burgos
J'imagine que le gouvernement a prévu de remettre à Sarkozy la grande croix de Carlos III. Et de décorer Carla Bruni du ruban d'Isabelle la Catholique. Pourquoi ? Pour services rendus. Le petit Français et la belle Italienne ne viennent pas en visite officielle, j'insiste sur ce point.
Que viennent faire ici, dans les ruines de l'économie espagnole, Carla Bruni et le petit homme avec qui elle visite d'ordinaire les pyramides d'Egypte ? Et bien, ils viennent avant tout pour dîner. Pour que Juan Carlos et Sofía leur ouvrent leurs salons, pour que nous sachions tous comment est vêtue la princesse des Asturies, si elle est plus belle, si elle a plus d'allure que la Bruni. Les Français raffolent du folklore pittoresque de l'Espagne. Leurs voyageurs romantiques venaient avec un Gustave Doré dans leurs bagages pour peindre l'Espagne qu'ils adoraient : celle des brigands, des guitaristes, des contrebandiers, des majos, des toréadors, des cavaliers, des nonnes à miracles, des rapières, des hidalgos sur leur bout de terre. Une Espagne d'opérette. L'Espagne, pour les Français, cela évoque la Carmen de Bizet avec son couteau dans la jarretelle. Certes, nous, les Espagnols, nous n'aimons rien tant que de leur servir l'espagnolade. S'il le faut, nous nous habillerons tous en danseurs de flamenco.
Pour que leur vision de l'Espagne reste intacte, nous aurions dû leur monter un vrai spectacle. Les ministres auraient dû non pas venir en frac, mais en toréadors, car, pour Sarkozy, l'Espagne et la Fiesta Nacional [nom donné aux corridas sous Franco] ne font qu'un. Pour les 4 millions de chômeurs, quelle fête ! Quant à Mesdames les ministres, elles auraient dû venir vêtues en Carmen, avec l'indispensable couteau dans la jarretelle, qu'elles auraient été bien inspirées de plonger dans la poitrine du premier qui aurait osé dire que le système financier espagnol n'est pas le plus solide du monde. Les présidents de la Cour suprême et du Conseil du pouvoir judiciaire se seraient mis à jouer les brigands pour ne pas décevoir de si illustres invités. A la dernière minute, on aurait renoncé à l'idée de déguiser aussi les patrons des grandes banques en brigands : mieux vaut qu'il chante du flamenco. Les grands chefs d'entreprise, en revanche, auraient campé des contrebandiers.
Si nous voulions vraiment que Sarkozy dîne avec l'Espagne réelle, pas question de dîner officiel au Palais royal, mais plateau pizza – et encore, nous aurions fait une dépense très au-dessus de nos moyens actuels. [Pour se rendre vraiment compte de l'Etat du pays] Sarkozy aurait dû dîner avec une délégation de chômeurs, avec les victimes des plans sociaux, avec les travailleurs indépendants pris à la gorge par les créanciers, avec les préretraités, avec les chefs d'entreprise. Un dîner de gala au Palais royal ? N'aurait-il pas mieux valu lui donner un bouillon léger dans une soupe populaire, authentique image de l'Espagne d'aujourd'hui.
____________________
Le couple présidentiel français est entouré à gauche par la princesse Letizia et le roi d'Espagne Juan Carlos et à droite par la reine Sofia et le prince Felipe.