Et le gagnant est... Dany "Boum"
Le Dauphine.com/Jean Serroy
Les Français l'ont désigné homme de l'année au côté de Barack Obama : un Ch'ti ici, un président noir là-bas. Rencontre avec un réalisateur dont le film, devenu phénomène social, aura marqué 2008.
"Je voulais faire rire sans me moquer de ma région"
Pour l'heure, quand il parle des "Ch'tis", il y a toujours une sorte d'émotion dans sa voix : "Cette responsabilité, de fait, je l'ai toujours eue par rapport à mon travail. En écrivant mon film, puis en le tournant, j'ai tout focalisé sur le fait que je voulais faire rire sans me moquer de ma région, sans l'abîmer. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai attendu mon deuxième film pour le faire. Bien sûr, le comique peut être méchant, mais, dans mon optique, j'entends surtout faire rire à mes propres dépens. D'ailleurs, je ne conçois pas des personnages trop éloignés de moi. Quand c'est le cas, j'arrête. Je crois qu'il faut d'abord savoir se moquer de soi pour pouvoir s'autoriser à se moquer des autres".
Il y a du Molière dans cette façon de voir, du Chaplin aussi, et du Woody Allen... En tout cas une forme d'humilité dont l'homme aux 20 459 039 entrées qu'il est devenu (chiffre définitif des "Ch'tis" en salle, à moins de 300 000 encablures de l'insubmersible Titanic) reconnaît qu'elle lui a été difficile à conserver : "Il y a un moment où j'ai vraiment été sonné, avoue-t-il. Dépassé même, lorsque les quinze millions de spectateurs ont été atteints en quatre semaines, alors que dans mes rêves les plus fous j'osais à peine en espérer deux millions. Et secoué encore plus lorsque les médias se sont emparés du phénomène. J'avais le sentiment d'être trop voyant : les télés, les journaux, les radios, et puis, prenant la suite des rubriques proprement cinématographiques, le passage aux chroniques sociales, politiques, intellectuelles, avec des sociologues, des philosophes, des experts en ci et en ça qui venaient m'expliquer comment moi j'avais pensé et fabriqué le film. Sans parler des intentions qu'on me prêtait, avec certains qui prétendaient que j'avais pris soin d'éviter toute scène de sexe pour ne pas me couper du public des enfants, et d'autres qui me reprochaient de n'avoir pas mis d'immigrés dans mon film. Une critique qui d'ailleurs me faisait plaisir, puisqu'ils ne se rendaient pas compte que l'acteur principal, Kad Merad, est d'origine algérienne, et que c'est la preuve par neuf que désormais quelqu'un comme lui peut incarner un Français moyen ! Bref, face à tout ce tintouin, il m'a fallu prendre un peu de recul pour m'isoler, me protéger".
Dur, dur, le chemin vers la gloire ! Mais non dénué quand même de certains avantages : "C'est dans le regard des autres, dit-il, que je mesure que j'ai fait le plus gros succès de l'histoire du cinéma français. Maintenant, quand j'arrive quelque part et que je commence à parler, on m'écoute. Même quand je n'ai rien à dire ! "
Ce qui, pour l'instant, n'est pas le cas. Parce qu'on parle des "Ch'tis", et que ça continue à lui tenir au coeur : "Ce qui m'émeut, dit-il, c'est quand je vois les salles rire, rire encore, surtout à l'étranger. J'ai accompagné le film dans une dizaine de pays : les gens ne connaissent pas du tout le Nord, ils prennent le film pour une fable. Et ça marche". On n'est jamais aussi universel que quand on est soi-même, c'est bien connu. Ce qui amène à évoquer les projets de remakes déjà lancés : "Les Italiens se sont mis tout de suite sur les rangs. Ils vont le faire, explique-t-il, mais en inversant le sud et le nord : c'est un type du nord qui va découvrir le sud, qui chez eux n'a pas très bonne réputation. Ils ont bien fait d'acheter tout de suite les droits, parce que lorsque les Américains sont arrivés et qu'ils ont décidé de faire le film avec Will Smith, ils ont bloqué par contrat toute nouvelle adaptation, comme ils le font toujours. Ainsi il y avait un projet au Japon, mais pour l'instant il est arrêté".
Une année 2009 bien chargée
Alors, Monsieur Monde, Dany ? "Pas vraiment, dit-il. Tout au plus quelqu'un dont les jours se sont rallongés". Ce qui lui sera grandement nécessaire pour une année 2009 où il va être passablement occupé. Trois films où il fait l'acteur vont sortir dans les mois qui viennent : De l'autre côté du lit, de Pascale Pouzadoux, où il a Sophie Marceau pour partenaire (à l'affiche dès le 7 janvier), puis Le code a changé de Danièle Thompson (sur les écrans le 18 février), et un peu plus tard Micmacs à tire-larigot, de Jean-Pierre Jeunet ("un génie du cinéma, dit-il, celui-là, avec un oeil qui voit tout".) Et puis, déjà, l'écriture de son troisième film à lui, qu'il tournera durant l'été, pour lequel l'équipe technique et les acteurs sont déjà choisis, et sur lequel il ne veut encore rien dire, si ce n'est qu'il en est à 300 pages de notes préparatoires. Et à l'automne, un retour à la scène, avec un spectacle à l'Olympia qui ne devait au départ être qu'un best-of, mais qu'il a décidé d'écrire pour de bon : "Ç'aurait été plus simple, dit-il, mais ça m'ennuyait un peu".
Ce qui fait du pain sur la planche, mais qui constitue aussi sans doute la meilleure façon de négocier l'après-Ch'tis. De quoi lui souhaiter en tout cas une bonne année 2009. A la hauteur de 2008, qui aura été exceptionnelle. "C'est vrai, j'ai gagné beaucoup d'argent, confesse-t-il. D'ailleurs je l'ai dit à ma femme : si tu veux divorcer, c'est le bon moment... "