France : Guantanamo en Calaisis ?
courrierinternational.com/John Lichfield et Ben Russel
Le projet d'implanter dans le port français un centre de rétention sous juridiction britannique soulève bien des questions. Londres et Paris espèrent ainsi s'affranchir des lois et traités internationaux et expulser plus facilement les demandeurs d'asile.
Londres et Paris ont engagé des discussions sur la création d'un nouveau centre pour immigrés clandestins sur les docks de Calais. Un centre qui serait un bout de territoire britannique pour tout ce qui concerne les lois sur l'immigration et permettrait de renvoyer facilement chez eux les déboutés du droit d'asile. Même si les deux gouvernements ne se sont pas encore entendus sur tous les termes de l'accord, ils comptent exploiter l'ambiguïté du statut légal de la "zone de contrôle" britannique créée en 2003 sur le port de Calais [les officiers d'immigration britanniques peuvent y effectuer des contrôles d'identité et y "pratiquer des recherches au moyen de matériels électroniques ou d'équipes cynophiles"], pour surmonter les difficultés juridiques qui empêchent actuellement l'expulsion des demandeurs d'asile vers leur pays d'origine.
L'idée – dont ont débattu les ministres de l'Immigration britannique et français en février – est de battre à leur propre jeu les demandeurs d'asile et les passeurs qui les amènent dans le nord de la France. A l'heure actuelle, les immigrants rassemblés à Calais, pour la plupart originaires d'Afghanistan, du Kurdistan et de la corne de l'Afrique, profitent des contradictions et des zones d'ombre dans les législations européenne et internationale sur l'immigration et l'asile pour éviter d'être expulsés de l'Hexagone. Peu importe qu'ils se fassent prendre à de multiples reprises ; à chaque fois, ils sont libérés et tentent de nouveau d‘entrer illégalement au Royaume-Uni.
Si le projet se concrétise, il ne manquera pas d'attirer l'attention des organisations de défense des droits de l'homme et des libertés civiques. Celles-ci pourraient établir un parallèle entre la création de ce centre doté d'un statut extraterritorial en territoire français et la prison de Guantanamo [sise en territoire cubain, sous juridiction américaine, mais dont l'"exterritorialité" lui a permis d'éviter pendant des années d'appliquer la justice ordinaire des Etats-Unis]. Même si les demandeurs d'asile ne devraient y séjourner que pour une courte période et y recevraient un traitement humain, ils se retrouveraient dans un vide juridique.
L'existence de discussions franco-britanniques sur ce sujet a été révélée par le ministre de l'Immigration britannique Phil Woolas. Selon lui, les clandestins seraient gardés dans ce nouveau "centre de détention [sic], après être passés par les services d'immigration britanniques" sur les docks de Calais. Déboutés, ils seraient alors renvoyés vers leurs pays d'origine sur des vols charters. Londres et Paris comptent ainsi "adresser un message" aux immigrants et à leurs passeurs, pour reprendre les termes de Woolas. "Nous voulons braquer les projecteurs sur les expulsions, pour qu'il soit bien clair en Afghanistan et en Irak que le Royaume-Uni n'est pas la Terre promise."
La presse britannique a tourné en ridicule les commentaires du ministre, après qu'il eut essuyé le soir même une rebuffade de son homologue français Eric Besson. En réalité, Besson n'a pas démenti les propos de Woolas. Il a simplement expliqué que la France n'avait pas l'intention de construire un nouveau Sangatte – ce qui n'est pas la même chose. Le gouvernement français est furieux et embarrassé, parce que l'expression "centre de détention" a une sinistre connotation historique à l'oreille des Français. Paris préfère parler de "centre de rétention". Les termes les plus importants employés par Woolas sont passés inaperçus au milieu des railleries dont il a fait l'objet. Le nouveau centre – de détention ou de rétention – serait construit au-delà de la ligne délimitant les services d'immigration britanniques sur les quais de Calais.
Changer la règle du jeu
La UK Border Agency, l'agence des frontières britannique, a également fait allusion au projet. "Nous sommes décidés à travailler avec les Français pour faire en sorte que nos frontières soient parmi les plus difficiles à franchir dans le monde, et nous envisageons toutes les possibilités", a déclaré l'agence. "Le ministre de l'Immigration a rencontré le mois dernier son homologue français pour réfléchir aux différentes options, et des discussions sont en cours sur les infrastructures à bâtir dans le port de Calais."
En 2003, la France et le Royaume-Uni ont conclu un traité sur des "contrôles frontaliers juxtaposés", dans le cadre d'un accord permettant la fermeture du camp de Sangatte. La police des frontières française opère, armée, à Douvres dans une "zone de contrôle" qui reste partie intégrante du Royaume-Uni mais qui est pour certains aspects sous juridiction française. Les agents de l'immigration britannique, eux, ont la haute main sur une "zone de contrôle" similaire sur les quais de Calais, où s'appliquent certains aspects de la loi britannique mais sur laquelle la France continue d'exercer sa souveraineté.
Les négociations portent donc sur le statut binational ambigu de cette zone "britannique" à Calais, première "incursion" britannique dans cette ville depuis près de cinq cents ans. [Calais a été repris à l'Angleterre en 1558.]
A l'heure actuelle, les tribunaux français refusent de renvoyer les clandestins dans leurs pays, où ils risquent la persécution. Ceux qui cherchent à entrer au Royaume-Uni ne veulent surtout pas demander l'asile en France. Car, en cas de refus de l'administration – et en vertu des traités internationaux et européens –, ils n'auraient plus le droit de déposer une demande au Royaume-Uni. Or ces candidats à l'immigration restent convaincus que ce dernier leur offre de bien meilleures perspectives que la France.
Généralement, les candidats à l'immigration arrivent sur les docks de Calais et se font arrêter avant ou après avoir pu se cacher dans un camion. Relâchés par les autorités françaises au bout de quelques jours, ils reviennent à Calais et tentent leur chance une nouvelle fois. Le plan franco-britannique permettra, espère-t-on officiellement, de changer la règle du jeu. Reste à savoir dans quelle mesure. Les illégaux pourraient être renvoyés dans leur pays sans relever de la loi française ou britannique – mais une telle éventualité sera contestée par les défenseurs des droits de l'homme. Par ailleurs, un centre de rétention dans les docks permettrait aux autorités de faire pression sur les immigrants pour qu'ils demandent l'asile en France, faute de quoi on les renverrait directement d'où ils viennent. Londres et Paris espèrent avoir suffisamment avancé sur ce dossier pour faire une déclaration commune quand le président Sarkozy et le Premier ministre Brown se rencontreront, en mai.
L'idée – dont ont débattu les ministres de l'Immigration britannique et français en février – est de battre à leur propre jeu les demandeurs d'asile et les passeurs qui les amènent dans le nord de la France. A l'heure actuelle, les immigrants rassemblés à Calais, pour la plupart originaires d'Afghanistan, du Kurdistan et de la corne de l'Afrique, profitent des contradictions et des zones d'ombre dans les législations européenne et internationale sur l'immigration et l'asile pour éviter d'être expulsés de l'Hexagone. Peu importe qu'ils se fassent prendre à de multiples reprises ; à chaque fois, ils sont libérés et tentent de nouveau d‘entrer illégalement au Royaume-Uni.
Si le projet se concrétise, il ne manquera pas d'attirer l'attention des organisations de défense des droits de l'homme et des libertés civiques. Celles-ci pourraient établir un parallèle entre la création de ce centre doté d'un statut extraterritorial en territoire français et la prison de Guantanamo [sise en territoire cubain, sous juridiction américaine, mais dont l'"exterritorialité" lui a permis d'éviter pendant des années d'appliquer la justice ordinaire des Etats-Unis]. Même si les demandeurs d'asile ne devraient y séjourner que pour une courte période et y recevraient un traitement humain, ils se retrouveraient dans un vide juridique.
L'existence de discussions franco-britanniques sur ce sujet a été révélée par le ministre de l'Immigration britannique Phil Woolas. Selon lui, les clandestins seraient gardés dans ce nouveau "centre de détention [sic], après être passés par les services d'immigration britanniques" sur les docks de Calais. Déboutés, ils seraient alors renvoyés vers leurs pays d'origine sur des vols charters. Londres et Paris comptent ainsi "adresser un message" aux immigrants et à leurs passeurs, pour reprendre les termes de Woolas. "Nous voulons braquer les projecteurs sur les expulsions, pour qu'il soit bien clair en Afghanistan et en Irak que le Royaume-Uni n'est pas la Terre promise."
La presse britannique a tourné en ridicule les commentaires du ministre, après qu'il eut essuyé le soir même une rebuffade de son homologue français Eric Besson. En réalité, Besson n'a pas démenti les propos de Woolas. Il a simplement expliqué que la France n'avait pas l'intention de construire un nouveau Sangatte – ce qui n'est pas la même chose. Le gouvernement français est furieux et embarrassé, parce que l'expression "centre de détention" a une sinistre connotation historique à l'oreille des Français. Paris préfère parler de "centre de rétention". Les termes les plus importants employés par Woolas sont passés inaperçus au milieu des railleries dont il a fait l'objet. Le nouveau centre – de détention ou de rétention – serait construit au-delà de la ligne délimitant les services d'immigration britanniques sur les quais de Calais.
Changer la règle du jeu
La UK Border Agency, l'agence des frontières britannique, a également fait allusion au projet. "Nous sommes décidés à travailler avec les Français pour faire en sorte que nos frontières soient parmi les plus difficiles à franchir dans le monde, et nous envisageons toutes les possibilités", a déclaré l'agence. "Le ministre de l'Immigration a rencontré le mois dernier son homologue français pour réfléchir aux différentes options, et des discussions sont en cours sur les infrastructures à bâtir dans le port de Calais."
En 2003, la France et le Royaume-Uni ont conclu un traité sur des "contrôles frontaliers juxtaposés", dans le cadre d'un accord permettant la fermeture du camp de Sangatte. La police des frontières française opère, armée, à Douvres dans une "zone de contrôle" qui reste partie intégrante du Royaume-Uni mais qui est pour certains aspects sous juridiction française. Les agents de l'immigration britannique, eux, ont la haute main sur une "zone de contrôle" similaire sur les quais de Calais, où s'appliquent certains aspects de la loi britannique mais sur laquelle la France continue d'exercer sa souveraineté.
Les négociations portent donc sur le statut binational ambigu de cette zone "britannique" à Calais, première "incursion" britannique dans cette ville depuis près de cinq cents ans. [Calais a été repris à l'Angleterre en 1558.]
A l'heure actuelle, les tribunaux français refusent de renvoyer les clandestins dans leurs pays, où ils risquent la persécution. Ceux qui cherchent à entrer au Royaume-Uni ne veulent surtout pas demander l'asile en France. Car, en cas de refus de l'administration – et en vertu des traités internationaux et européens –, ils n'auraient plus le droit de déposer une demande au Royaume-Uni. Or ces candidats à l'immigration restent convaincus que ce dernier leur offre de bien meilleures perspectives que la France.
Généralement, les candidats à l'immigration arrivent sur les docks de Calais et se font arrêter avant ou après avoir pu se cacher dans un camion. Relâchés par les autorités françaises au bout de quelques jours, ils reviennent à Calais et tentent leur chance une nouvelle fois. Le plan franco-britannique permettra, espère-t-on officiellement, de changer la règle du jeu. Reste à savoir dans quelle mesure. Les illégaux pourraient être renvoyés dans leur pays sans relever de la loi française ou britannique – mais une telle éventualité sera contestée par les défenseurs des droits de l'homme. Par ailleurs, un centre de rétention dans les docks permettrait aux autorités de faire pression sur les immigrants pour qu'ils demandent l'asile en France, faute de quoi on les renverrait directement d'où ils viennent. Londres et Paris espèrent avoir suffisamment avancé sur ce dossier pour faire une déclaration commune quand le président Sarkozy et le Premier ministre Brown se rencontreront, en mai.