Grands Lacs: Quand le café se mêle de géopolitique

AA

Bujumbura - Au Burundi, la police et l’administration traquent quotidiennement ceux qui, succombent à l’appât du gain et grillent l’interdiction d’écouler leur café au Rwanda voisin.

Aucune sanction ne semble pouvoir les arrêter. Les faits le prouvent à souhait. Le 12 mai dernier, la police a débusqué plusieurs sacs de café dans une maison de la commune Gasorwe de la province Muyinga, dans le nord du Burundi.

«Ce café était sur le point d’être écouler, de nuit, au Rwanda, la police qui a déjà arrêté quatre personnes, elle enquête sur tout un circuit de vente illicite de café dans ce pays», a déclaré à Anadolu Ferdinand Naraguma, commissaire de police a Muyinga.

Alors qu’ils sont chargés d’appliquer la loi, certains leaders administratifs locaux tombent parfois dans la nasse de la police en quête de fraudeurs et de leurs complices. 
Romain Ndagabwa, Administrateur communal de Busiga en province Ngozi dans le nord du Burundi, est sous les verrous depuis le 7 mai dernier. Ce premier responsable d’une commune qui jouxte le sud du Rwanda a été arrêté sur ordre du procureur de la République à Ngozi pour «complicité dans la vente illicite du café».

La police avait en effet saisi plus de 20 tonnes de café sur les collines Kididiri et Nyange sur le point d’être écoulées au Rwanda avec sa complicité. 

En avril dernier, trois autres Burundais, originaires de la province de Kayanza, à 90 km de Bujumbura vers le nord du pays, avaient été arrêtés dans la commune de Kabarore à la frontière rwandaise avec 70kg de café.

- Caféiculteurs et attraits rwandais

Selon les caféiculteurs burundais, deux facteurs justifient cet attrait des Burundais vers un marché interdit. D’une part, le Rwanda a installé des stations de dépulpage du café le long de sa frontière avec le Burundi ; d’autre part, Kigali a notoirement fait monter le prix du kilo. « La frontière entre ces deux pays et naturelle, on ne doit pas se rendre au Rwanda par route et le prix du café cerise est de 3000 francs rwandais (3,67 usd), soit l’équivalant de 10.000 francs burundais, de loin ce qu’on donne au Burundi », a déclaré a Anadolu Jérémie Ndikuriyo, de la Confédération nationale des associations des caféiculteurs (Cnac). 

Bien que Bujumbura ait formellement interdit la vente du café au Rwanda, des responsables administratifs locaux succombent a l’attrait du marché et autorisent la fraude du café pour peu qu’on leur graisse la patte. Face à cette surprenante complicité des responsables administratifs à la base dans la vente frauduleuse du café burundais au Rwanda voisin, le gouvernement Burundais a décidé de sévir. 

Dans un communiqué publié le 4 mai 2017, le ministre de l’Agriculture et de l’Elevage Deo Guide Rurema a haussé le ton. «Le gouvernement ne tolérera aucune fraude du café et demande à tous les administratifs, du sommet à la base, et les commissaires provinciaux frontaliers, d’être vigilants pour décourager cette pratique qui met en cause les efforts du gouvernement et des agriculteurs pour une redynamisation de cette culture », a-t-il déclaré. 

C’est la première fois qu’une autorité administrative de ce rang intervient dans ce genre de délit. Ce qui a immédiatement réjoui Philippe Nzobonariba, porte-parole du gouvernement burundais. « La retraite de Bukirasazi commence à donner des fruits. Désormais, ce n’est plus un simple slogan, même les responsables administratifs sont dans le viseur », a-t-il déclaré a Anadolu. Lors d’une retraite organisée en avril dernier au chef-lieu de la commune Bukirasazi en province de Gitega (130 km de Bujumbura) au centre, sous la houlette du chef de l’Etat, Pierre Nkurunziza, les membres du gouvernement ont décidé de sanctionner « tous ceux qui s’adonnent à la fraude ». 

Au lendemain de cette réunion, le président burundais a personnellement organisé dans la commune voisine de Nyarusange en province de Gitega, une réunion avec tous les intervenants en matière de lutte contre l’exportation frauduleuse du café. « Ce comportement inapproprié résulte d’une perte de valeurs intrinsèques d’un Burundais digne de son nom, nous voulons un retour aux valeurs fondamentales de nos ancêtres. Aussi, des mesures seront prises à l’endroit de ceux qui continuent à s’adonner à la corruption et à la fraude », a déclaré à la presse le chef de l’Etat burundais.

- Principale source de devises

Les relations entre le Burundi et le Rwanda ne sont pas au beau fixe ces derniers temps. Les autorités des deux pays voisins de la région des Grands Lacs s’accusent mutuellement d’instrumentaliser des opposants pour déstabiliser leur pays. Alors que le Rwanda accuse le Burundi d’héberger les milices rwandais "Interahamwe" impliqués dans le génocide rwandais de 1994, le Burundi accuse, de son côté, le Rwanda d’héberger des opposants responsables de la tentative de putsch de mai 2015 contre le président Pierre Nkurunziza. 

Introduit au Burundi vers les années 1920, le café est aujourd’hui, la principale culture industrielle du pays avec plus de 70% d’apports en devises. 

Aujourd’hui, face au tarissement de son économie après deux ans de grave crise politique et sécuritaire, le Burundi veut mieux surveiller tout le circuit de son café, principale source de devises. C’est ainsi que le 11 avril dernier, la Banque de la République du Burundi a annoncé l’ouverture d’une fenêtre café en son sein pour permettre aux banques commerciales locales, de « se refinancer à un taux de 3% », afin qu’à leur tour, elles puissent financer aisément la campagne café au profit de tous les intervenants.


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