"HHhH", un premier roman qui plonge au coeur de l'histoire et de l'écriture
AFP
Paris - "HHhH", c'est l'histoire d'un monstre nazi, Reinhard Heydrich, principal artisan de la solution finale, et d'une mission lancée pour l'éliminer, l'opération "Anthropoïde", mais ce captivant premier roman de Laurent Binet est aussi un corps à corps entre les mots et la réalité.
Patron de la Gestapo, créateur des services secrets et de sécurité (SD), Heydrich avait droit aussi aux surnoms de "Boucher de Prague", une ville où il sema la terreur à partir de 1941, de "bourreau" ou encore de "L'homme au coeur de fer", un petit nom donné par Hitler lui-même, qui appréciait le physique "aryen" d'Heydrich, sa férocité et sa traque impitoyable des Juifs.
Sélectionné pour le prix Goncourt du Premier roman 2010, qui sera décerné le 2 mars, "HHhH" est aussi une réflexion sur les rapports entre réalité et fiction, Histoire et roman.
Laurent Binet, 37 ans, agrégé de lettres, professeur de français en Seine-Saint-Denis depuis dix ans et chargé de cours à l'université, a effectué son service militaire en Slovaquie.
C'est là qu'il a commencé à s'intéresser au personnage monstrueux d'Heydrich et surtout à la tentative d'assassinat menée contre lui depuis Londres par le gouvernement tchécoslovaque en exil. Deux jeunes parachutistes, Gabcik et Kubis, un Tchèque et un Slovaque, sont chargés de cette mission à très haut risque.
L'auteur retrace l'itinéraire de ces héros méconnus, parallèlement à celui d'Heydrich, patron de la machine à broyer nazie.
Entraînés en Angleterre et largués au-dessus de la campagne près de Prague en 1942, Gabcik et Kubis ont peu de chance de s'en tirer. "Dès le début, tout va de travers", explique Laurent Binet avec un regard admiratif et tendre à l'égard des deux jeunes héros sacrifiés.
Laurent Binet, habité pendant des années par l'histoire croisée de ces personnages bien réels et l'énorme documentation qu'il a recueillie, entrecoupe son récit d'interrogations sur les mots qu'il emploie pour restituer ce passé, sa difficulté à "passer" au roman.
Rien n'est inventé et pourtant: pourquoi écrire qu'Heydrich est assis plutôt que debout, habillé d'un manteau plutôt que d'un imper, que le ciel est noir plutôt que bleu, les parachutistes crispés ou terrorisés..., s'interroge l'auteur.
Il introduit aussi sa vie privée dans le livre, au fil de courts dialogues avec une petite amie ou un copain curieux, témoignant ainsi de l'intrusion du livre dans sa vie quotidienne.
(HHhH, Laurent Binet, Grasset, 442 p. 20,90 euros)