Irak: les archives de Saddam, des "armes" que certains veulent faire taire
AFP
Bagdad - Parmi les millions de rapports rédigés par la police secrète de Saddam Hussein, certains resurgissent épisodiquement en Irak, remuant un passé douloureux. Mais aujourd'hui, des voix s'élèvent pour faire taire ces archives, véritables "armes" contre les personnes qu'elles évoquent.
Mais à la différence de l'Allemagne qui, peu après la réunification s'est dotée d'une administration chargée de traiter les documents de la Stasi, la police secrète est-allemande, l'Irak de l'immédiat après-Saddam Hussein a vu ses archives se disperser aux quatre vents.
Dans la foulée de l'invasion de 2003, "le Pentagone s'est procuré 48.000 cartons d'archives. La CIA a mis la main sur des millions de documents, les partis politiques (irakiens) aussi", raconte M. Eskander. Et c'est sans compter la myriade de documents acquis par des particuliers et les médias.
Victimes et bourreaux
Aujourd'hui, alors qu'approche le dixième anniversaire de la chute de Saddam Hussein, ces dernières archives continuent de poser problème.
"Il arrive que des journaux publient des documents où sont mentionnés les noms de personnes exécutées, le lieu, la date (...). Personne n'a le droit de divulguer le nom de victimes ou de leurs bourreaux. C'est à eux de prendre la parole", estime Saad Eskander.
"Ces informations sont des armes", prévient-il.
M. Eskander juge tout aussi révoltante la pratique de certaines formations politiques qui, de temps à autre, font chanter le candidat d'un parti adverse en menaçant de diffuser les documents prouvant son appartenance passée au Baas, interdit depuis mai 2003.
"Nous avons dissuadé certains médias d'utiliser les archives, mais il est impossible de faire pression sur les partis politiques (...), à moins d'avoir une loi qui nous le permette", rappelle-t-il.
Saad Eskander a donc rédigé et soumis un projet de loi qui, s'il est adopté par le Parlement, mettrait hors-la-loi la publication d'archives sans le consentement des personnes concernées.
"Certaines archives seront accessibles au Premier ministre, à la Justice (...). Tout le monde n'y aura pas accès", explique-t-il.
Des amendes sont prévues, des peines de prison aussi, dont M. Eskander ne souhaite pas révéler la sévérité car son projet est encore à l'étude.
Sollicité par l'AFP, le porte-parole du gouvernement Ali Dabbagh s'est dit favorable au texte, mettant en avant le droit au respect de la vie privée.
Ne pas publier les archives? "Un crime"
Dans les rangs de la formation laïque Iraqiya, dont certains membres ont été accusés d'avoir des liens avec le Baas lors de la campagne des législatives de 2010, on observe l'initiative du directeur des Archives nationales avec bienveillance.
Mais pour Haider al-Mullah, l'un des chefs de file d'Iraqiya, "il n'est pas logique que nous en soyons encore au stade de la +débaassification+. Le fait que nous ayons besoin de lois (comme celle de M. Eskander) montre l'échec du gouvernement" de Nouri al-Maliki, déclare-t-il à l'AFP.
Certains en Irak ont qualifié la "débaassification" de chasse aux sorcières. Mais, comme le souligne Sarmad al-Taï, un éditorialiste en vue, "aujourd'hui, on ne tue plus personne parce qu'il a appartenu au parti Baas".
Plus grave, les défenseurs de la liberté de la presse jugent que le texte pourrait imposer de nouvelles restrictions aux médias irakiens.
"Comment rester silencieux lorsqu'on est en possession de documents sur d'anciens membres du Baas qui contiennent des informations sur un génocide?", s'interroge Ziad al-Ajili, président de l'Observatoire irakien de la liberté de la presse.
"Le crime, c'est de ne pas publier ces documents", s'emporte-t-il.