Jafar Panahi: "Pourquoi faire un film devrait-il être un crime?"

AFP

Téhéran - "Pourquoi faire un film devrait-il être un crime?" s'interroge le réalisateur iranien Jafar Panahi, libéré sous caution fin mai trois mois après son arrestation et dont le film "L'accordéon" est présenté mercredi en première mondiale au Festival de Venise, en son absence.

Jafar Panahi
Jafar Panahi
Privé de passeport, Jafar Panahi n'a pu se rendre sur le Lido.

Agé de 50 ans, ce cinéaste de la "nouvelle vague" iranienne avait été arrêté le 1er mars car selon le ministère iranien de la Culture le metteur en scène "préparait un film contre le régime portant sur les événements post-électoraux" -en allusion aux manifestations ayant suivi la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009-, ce que M. Panahi avait démenti.

De nombreuses voix s'étaient élevées à l'étranger comme en Iran pour demander sa libération, notamment à l'occasion du Festival de Cannes où le cinéaste devait siéger parmi les membres du jury. L'actrice française Juliette Binoche était ainsi venue chercher son prix d'interprétation féminine en brandissant un écriteau avec le nom du cinéaste.

Panahi, dont le passeport a été révoqué il y a neuf mois, attend son procès qui doit débuter fin septembre.

Q: Comment avez-vous réagi à l'appel de vos confrères en faveur de votre libération et aux larmes de Juliette Binoche? Comment considérez-vous la situation des réalisateurs en Iran?

R: "J'étais littéralement coupé du monde en prison. J'ai appris ce qui s'était passé quand je suis sorti. Je suis vraiment reconnaissant à tous mes collègues pour leur soutien.

Je tournais un film sur une famille et les événements post-électoraux. Nous tournions chez moi, et 30% des scènes étaient tournées, mais ils ont saisis tous mes rushes.

Il y a toujours eu des restrictions mais l'année passée a été la pire. Il y a des pressions sur tout le monde (...) La question est: pourquoi faire un film devrait-il être un crime? Un film terminé peut être interdit, mais pas le réalisateur. Je n'ai pas vraiment travaillé pendant cinq ans. Je voulais faire un film sur la guerre (Iran-Irak) il y a deux ans. Ils ne m'y ont pas autorisé. Ils ont eu un problème personnel avec moi (...) Toutefois je n'arrive pas être pessimiste. Des entraves ont toujours existé et cette période finira un jour elle aussi. Il est important d'être patient et de résister. Quand un cinéaste ne fait pas de films, c'est comme s'il était en prison. Même quand il est libéré d'une petite prison, il se retrouve à errer dans une prison plus grande. Je suis amoureux de mon pays et malgré ses limites je ne voudrais jamais vivre ailleurs".

Q: Que pensez-vous des troubles qui ont suivi l'élection présidentielle en Iran et de quelle manière vous êtes-vous impliqué?

R: Je suis un réalisateur avec une conscience sociale. Je tire mes histoires de la société. Je dois témoigner de tout de qui se passe dans mon pays. Je ne pouvais pas rester indifférent, fermer les yeux et ne rien voir. Alors j'ai assisté à tout, même si je n'étais pas autorisé à porter une caméra. J'ai tout enregistré dans ma tête et (tous ces souvenirs) trouveront probablement leur place dans mon travail.

Q: Quelle est la genèse de "L'accordéon"?

R: Le film est inspiré d'une histoire que j'ai lue quand j'étais adolescent sur un jeune musicien qui voulait jouer devant une mosquée. Un homme qui travaillait à cô té n'aimait pas son "instrument hérétique" et l'avait brisé. Je n'aimais pas cette fin violente et je voulais raconter cette histoire dans une version où la violence n'était plus nécessaire. Alors on peut dire que le thème de mon film est la non-violence et le rejet de la violence, qui devraient être de rigueur à notre époque. Il a été tourné à Shiraz (sud de l'Iran) un mois avant mon arrestation cet hiver. Le tournage s'est bien passé.

Ces propos ont été recueillis lors d'un entretien par téléphone le 22 août à Téhéran.


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