John Updike : Un géant parmi les géants

canoe.ca/Christophe Bernard

Encore plus difficile, pour un lettré, de ne pas voir les signes de la fin du monde quand des écrivains de la trempe de David Foster Wallace disparaissent en se passant la corde au cou. Soulignons donc les deuils que porte cette année la littérature américaine - et autant faire une pierre deux coups.

John Updike : Un géant parmi les géants
L’auteur d’Infinite Jest, ce super-roman qui a synthétisé les années 1990 et qui en a fait passer plus d’un pour des pense-petits, a succombé cet automne à vingt ans de dépression.
Mais la Dépression - celle de 1929 - a aussi engendré ses enfants, et si les États-Unis ont perdu avec Wallace l’un de ses génies les plus fous, rien ne viendra combler la perte d’un des piliers de sa culture et du plus dévoué de ses témoins. John Updike est mort. Né au coeur de l’État allemand de la Pennsylvanie, l’écrivain des campagnes et des quidams a tiré un dernier trait sur une œuvre romanesque, critique et poétique à l’échelle de sa terre natale. Avec plus d’une trentaine de recueils de nouvelles et de romans, une dizaine de livres de poésie et une présence affirmée et omniprésente dans le discours critique, Updike s’est imposé comme l’un des plus écrivains les importants de sa génération, sinon le plus important.
Ce fin prosateur et fils chéri de Harvard est surtout connu pour son personnage de Harry Rabbit Angstrom, incarnation à la fois banale et extraordinaire de l’Amérique «tiède» (blanche, de classe moyenne, amoureuse de baseball et divorcée). Ce «héros», apparu la première fois en 1960 dans Rabbit, Run, aura vieilli avec son créateur, pour mourir quelques année avant lui dans Rabbit at Rest, quatrième volet d’une gigantesque série par deux fois récompensée du Prix Pulitzer. Homme peu flamboyant et conscient de sa médiocrité, champion oublié de basket-ball collégial et sans grande réalisation depuis, Angstrom aura tout de même rejoint le panthéon des grands personnages romanesques, aux côtés de Holden Caulfield, Nathan Zuckerman et Huckleberry Finn.
Fidèle collaborateur du New Yorker, où il publia sa première nouvelle, Updike a su, comme peu d’écrivains, prendre le pouls de son pays, de ses tabous et de sa psyché la plus enfouie - ce qui, dans toute société puritaine et experte dans la dissimulation de ses vices derrière le masque de ses valeurs, n’est pas sans provoquer un scandale ou deux à l’occasion. L’exploration de la sexualité, conjointement à celle de la religion, aura ainsi pris une place prépondérante dans une œuvre qui se penche sur le déclin de la cellule familiale et l’animalité latente en chacun. C’est sans surprise que le scandale provoqué en 1968 par la publication de Couples vaut alors à son auteur la une du Times, et beaucoup d’argent.
Si le style d’Updike est extrêmement séduisant, rusé, tout simplement brillant, certains cependant n’y auront vu que du tape-à-l’œil. Si l’on a dit de lui qu’il était le dernier grand écrivain américain (mais William Gass? Don DeLillo? Toni Morrison?), capable de tout, d’autres lui ont reproché la superficialité de ses idées et sa faible propension à réinventer son art. Deux choses qu’il faudrait être bien arrogant pour reprocher à Philip Roth, qui, moins fulgurant sur la scène publique, a vu en Updike son plus redoutable rival littéraire.
Il faut dire que ce dernier ne s’est jamais caché de ses limites, au sein desquelles il excellait. La modestie des univers qu’il a recréés sa vie durant ne réduit en rien le grandiose des moyens employés. Chose certaine, Updike a, grâce à l’écriture, abordé de front les problèmes majeurs d’une société à laquelle il a sacrifié toute son intelligence, une intelligence des plus pénétrante.


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