La Crimée rattachée à la Russie, Poutine s'attire les foudre de l'Occident

AFP

Moscou - Le président Vladimir Poutine a signé mardi un traité historique rattachant la Crimée à la Russie, faisant fi des sanctions occidentales contre Moscou et d'un retour aux pires heures de la Guerre froide.

Aussi bien Kiev que les Occidentaux ont aussitôt fermement condamné cet accord, signé à l'issue d'un discours sous les ors du palais du Kremlin chaudement applaudi par les deux chambres du parlement et les gouverneurs russes réunis pour l'occasion.

L'accord, conclu avec les nouveaux dirigeants pro-russes de Crimée et entérinant l'entrée de la péninsule dans la Fédération de Russie, entrait en vigueur dès mardi, même si le Parlement russe doit encore ratifier une loi en ce sens, une simple formalité.

A Sébastopol, environ 2.000 personnes ont regardé M. Poutine sur un grand écran dans le centre-ville et ont crié "Hourra" et "Russie! Russie!"

A Kiev, le président par intérim Olexandre Tourtchinov a en revanche déclaré que l'Ukraine ne reconnaîtrait jamais l'"annexion" de la Crimée par la Russie.

M. Tourtchinov a également accusé mardi Vladimir Poutine de suivre l'exemple de l'Allemagne nazie en "annexant" la péninsule.

"Les autorités russes ont lancé aujourd'hui un sale jeu pour annexer la Crimée. C'est avec l'annexion de territoires d'autres Etats par l'Allemagne nazie qu'a commencé la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui Poutine suit l'exemple des fascistes du 20e siècle", a-t-il déclaré au cours d'un point de presse.

Le ministre de la Justice Pavlo Petrenko a dit que l'Ukraine se réservait le droit de saisir les biens de la Russie si celle-ci approuvait la "nationalisation" des propriétés de l'Etat ukrainien en Crimée.

Le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk a estimé que le conflit en Crimée passait "de la phase politique à une phase militaire", après des tirs des troupes russes sur les soldats ukrainiens.

Un militaire ukrainien a été tué mardi lors d'une tentative d'assaut contre son unité militaire à Simpéropol, chef-lieu de la Crimée occupée par les troupes russes, a annoncé un peu plus tard à l'AFP le porte-parole du ministère ukrainien de la Défense en Crimée.

"Au cours de l'assaut contre une base militaire à Simféropol, un militaire ukrainien est décédé après avoir été blessé au cou. Un autre militaire a été blessé", a déclaré Vladislav Seleznev.

Le vice-président des Etats-Unis Joe Biden a qualifié à Varsovie le rattachement de la Crimée de "confiscation de territoire", menaçant Moscou de nouvelles sanctions.

Le président américain Barack Obama a invité les dirigeants du G7 et de l'Union européenne à se réunir la semaine prochaine à La Haye pour débattre de la situation en Ukraine.

Le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a annoncé la suspension de toute coopération militaire avec Moscou, jugeant "regrettable" que la Russie ait "fait le choix de l'isolement" et estimant hautement probable que la Russie soit exclue du G8.

La chancelière allemande Angela Merkel a dénoncé un accord allant "contre le droit international" mais a estimé que le dialogue avec la Russie devait se poursuivre, tandis que le président français François Hollande a appelé à "une réponse européenne forte et coordonnée" lors du sommet européen des 20 et 21 mars.

- La Crimée, "partie intégrante de la Russie" -

Dans son discours, marqué par des élans de patriotisme et un ton très anti-occidental, M. Poutine a joué sur la fibre émotionnelle et assuré que la Russie ne voulait pas d'une scission de l'Ukraine, deux jours après un référendum en Crimée qui a plébiscité un rattachement à la Russie.

"Dans le cœur et la conscience des gens, la Crimée était et reste une partie intégrante de la Russie", a-t-il lancé, affirmant que Moscou aurait "trahi" les habitants de la péninsule si elle n'avait pas répondu à leur appels à les protéger face à la contestation à Kiev qui a abouti à la destitution du président Viktor Ianoukovitch.

La Crimée, qui appartenait à la Russie au sein de l'URSS, avait été offerte en 1954 à l'Ukraine par le numéro un soviétique Nikita Khrouchtchev.

"Ne croyez pas ceux qui vous font peur au sujet de la Russie, qui vous disent qu'après la Crimée, vont suivre d'autres régions", a déclaré M. Poutine à l'adresse de ceux qui s'inquiètent d'une éventuelle répétition du scénario crimé en dans l'est russophone de l'Ukraine.

"Nous ne voulons pas la scission de l'Ukraine, nous n'en avons pas besoin", a-t-il ajouté.

Le chef de l'Etat russe s'est aussi livré à une dénonciation en règle des Occidentaux qui ont décrété des sanctions contre Moscou, estimant qu'ils avaient "franchi la ligne rouge" et s'étaient comportés de "manière irresponsable" dans la crise ukrainienne. Il les a accusés de faire preuve de "cynisme" et d'agir selon "le droit du plus fort".

- Ironie russe sur les sanctions -

Un conseiller du Kremlin visé par les sanctions, Vladislav Sourkov, a ironisé et jugé que c'était une sorte d'+Oscar+ de la part de l'Amérique, dans la catégorie +meilleur second rôle masculin+".

Plutôt symboliques, les sanctions annoncées lundi concernent un nombre limité de hauts responsables russes et ukrainiens pro-russes.

Onze personnes sont visées selon la Maison-Blanche : sept Russes et quatre personnes accusées de collusion avec la Russie en Ukraine, dont le président déchu Viktor Ianoukovitch, un conseiller, et deux dirigeants séparatistes de Crimée, Serguiï Axionov et Volodymyr Konstantinov.

Parmi les Russes, qui voient leurs éventuels avoirs gelés aux Etats-Unis, figurent le vice-Premier ministre Dmitri Rogozine, la présidente du Conseil de la Fédération (chambre haute du Parlement), Valentina Matvienko, deux proches conseillers de M. Poutine (Vladislav Sourkov et Sergueï Glaziev) et deux élus de la Douma.

Dans le même temps, les ministres européens des Affaires étrangères ont pris des sanctions -restrictions de visas et gels d'avoirs - contre 21 responsables ukrainiens et russes dont MM. Axionov et Konstantinov et des militaires russes actifs en Crimée.

De telles sanctions sont inédites dans l'histoire des relations UE-Russie depuis l'effondrement de l'Union soviétique en 1991.

L'option militaire exclue, les Occidentaux comptent sur l'impact d'un isolement international croissant de la Russie. Les Etats-Unis et l'UE, qui comptent parmi les principaux partenaires de Moscou, se réservent la possibilité d'imposer des sanctions économiques et commerciales.

Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, qui a annulé une visite prévue mardi à Moscou avec le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, a déclaré que Paris pourrait suspendre la vente de deux navires polyvalents Mistral à Moscou, aux termes d'un contrat signé en 2011.

Il a toutefois indiqué que le président russe était toujours invité le 6 juin en France aux cérémonies du 70e anniversaire du Débarquement des forces alliées.

- Poutine imperturbable -

Le maître du Kremlin, sorti renforcé du référendum et dont la cote de popularité en Russie a battu un record depuis sa réélection à la présidence en mai 2012, a clairement montré qu'il restait imperturbable face aux menaces occidentales.

Plus de 110.000 personnes se sont rassemblées mardi en fin de journée sur la place Rouge où un concert était organisé pour soutenir la politique du Kremlin, et où M. Poutine est apparu.

"Nous sommes ensemble ! Gloire à la Russie", a-t-il lancé à l'assemblée avant que ne retentisse l'hymne russe.


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