"La question de la suppression du ministère de la culture peut se poser"
Le Monde.fr/Propos recueillis par Michel Guerrin et Nathanie
Le ministère de la culture fêtera son cinquantenaire, en février 2009. Jean-Jacques Aillagon en est un acteur clé : président du Centre Pompidou de 1996 à 2002, ministre de la culture du gouvernement Raffarin, de mai 2002 à avril 2004, puis conseiller de François Pinault, il est actuellement président de l'Etablissement public de Versailles (château et jardins).
Rappelons d'abord qu'il existait une action culturelle de l'Etat sous la IIIe et la IVe République, donc bien avant que fut créé, en 1959, un ministère pour offrir un poste à sa mesure à André Malraux. Ce ministère a fait avancer le développement culturel de notre pays, voter des lois, comme celle sur le prix unique du livre. Il a créé des institutions comme le Centre Pompidou, en a revitalisé d'autres, comme l'Opéra de Paris. Mais depuis de longues années, et cela n'a rien à voir avec le travail mené par Christine Albanel, son action est devenue peu compréhensible et perçue comme injuste.
Pourquoi ?
Aucun autre ministère n'est autant obsédé par sa propre existence, au point de devenir une machine à communiquer. Chaque jour, le ministère annonce, déplore, remercie, félicite, se chagrine. Cette hypertrophie du discours a fait naître l'illusion qu'aucune action culturelle ne pouvait exister sans qu'il en soit l'acteur, l'intermédiaire, le promoteur. Or la réalité est bien différente. En vingt ans, les collectivités locales sont devenues des acteurs centraux de la vie culturelle. Sans elles, qu'en serait-il des enseignements artistiques, de la vie musicale, du foisonnement des festivals ou du renouveau des musées ? Mais cette réalité est mal prise en compte, peu par les agents du ministère, pourtant soulagés de voir ces collectivités assurer une part du coût de la culture, encore moins par les artistes, qui pensent souvent que seul l'Etat peut apprécier leurs projets avec pertinence.
En cultivant l'illusion qu'il peut et doit tout faire, le ministère de la culture est celui qui génère le plus de frustrations. Les attentes qu'il suscite augmentent plus vite que les dotations budgétaires. Ce hiatus est au coeur du malheur de la Rue de Valois.
Comment échapper à cette spirale ?
Que l'Etat s'affiche d'abord de façon plus discrète, plus pudique. Sans être inactif, bien au contraire. Qu'il s'attache à trois chantiers prioritaires, dont celui de son action territoriale, qui doit être rationalisée. Elle a perdu toute lisibilité, en étant souvent le résultat d'aléas et de l'influence personnelle des élus, plus que d'une vision déterminée. Qu'on considère, par exemple, la carte des structures labélisées et subventionnées pour s'en rendre compte. Une remise à plat est nécessaire pour redéfinir les règles du partage des rôles entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Après les décentralisations de 1982 et de 2004, il faut aller plus loin mais aussi revenir sur la déconcentration pour rendre aux services centraux du ministère une véritable action stratégique. Allégées, les directions régionales doivent redevenir de façon plus déterminée les relais locaux des impulsions centrales.
La deuxième priorité ?
L'Etat doit renforcer l'autonomie des grands établissements, qui marquent la politique culturelle. C'est ce que j'ai fait en conduisant Orsay et Guimet vers le statut d'établissement public, et en donnant au Louvre son autonomie. Il faut aller au terme de ce processus. L'Etat ne doit plus exercer une tutelle tatillonne, mais stratégique. Qu'il donne des objectifs et qu'ensuite, il laisse les opérateurs travailler !
Quelle place reste-t-il alors pour l'Etat ?
A côté des institutions qu'il subventionne, l'Etat doit définir - c'est la troisième priorité - des programmes forts et lisibles qui bénéficient de budgets d'intervention importants. Empiler les subventions ne fait pas une politique. C'est un mal du ministère mais aussi des collectivités locales où l'instruction administrative d'une subvention coûte souvent plus cher que la subvention elle-même. Arrêtons le saupoudrage au profit d'axes clairs.
Je suis frappé, par exemple, que le répertoire du théâtre français soit si peu joué sur le territoire. Il y a là un axe possible. Ou encore, bien sûr, le développement de l'éducation artistique, qui suppose une vraie proximité avec le ministère de l'éducation.
Votre logique n'est-elle pas celle de la suppression du ministère de la culture ?
Les missions de l'Etat en matière de culture sont plus importantes que la structure. La question peut donc se poser. Mais elle est politiquement taboue. La France a développé un attachement quasi religieux pour ce ministère. Vouloir le bouger, c'est être accusé de brader la culture, d'être inculte, d'ouvrir la voie au libéralisme pur, dur et sans âme. Si je n'étais qu'un observateur sur Sirius, je verrais des avantages dans le système d'avant 1959 : des actions culturelles, sans ministère. En tant qu'acteur engagé, je sais que c'est impossible. Maintenons ce ministère, donnons-lui plus de moyens, mais qu'il fasse sa révolution.
Pourquoi ne pas l'avoir fait quand vous étiez ministre ?
J'ai esquissé ce mouvement. Il m'aurait fallu du temps. Mais il y a eu le conflit des intermittents, qui a provoqué mon départ. Un ministère ne se réforme pas seul. C'est l'affaire de tout un gouvernement. A la culture, la difficulté c'est que le ministre a beaucoup de mal à prendre ses distances par rapport aux populations qu'il administre. Tout ministre veut être accepté par la famille culturelle. Il veut même en faire partie. Aucun ne veut de disputes familiales.