La restitution des terres aux Noirs: le débat qui enflamme l’Afrique du Sud

MAP

Faisant face à des pressions qui s’accentuent, l’ANC, le parti au pouvoir en Afrique du Sud, a repoussé aux devants de la scène politique l’épineuse question de la redistribution des terres aux Noirs, une démarche qui risque, selon les observateurs, de raviver des tensions raciales toujours présentent dans le pays plus de 20 ans après la fin du régime raciste de l’apartheid.
L’opposition radicale, représentée par le parti de l’Economic Freedom Fighters (EFF) de Julius Malema, a fait de cette question son cheval de bataille depuis sa création en 2012 suite à une scission de l’ANC. Ses responsables vont jusqu'à appeler à la saisie par la force des terres contrôlées par la minorité blanche.
Le président Jacob Zuma, qui s’apprête à quitter le poste de chef du parti de Nelson Mandela en décembre prochain, a adopté la question, une initiative qualifiée d’«opportuniste» par certains analystes de la place johannesburgeoise.
Surfant sur la vague populiste en ces temps d’incertitude dans le pays arc-en-ciel, M. Zuma a appelé à l’unité des partis noirs pour faire passer une réforme constitutionnelle, autorisant la redistribution des terres aux Noirs sans compensation pour les propriétaires blancs.
Certains analystes, dont Michael Atkins, estiment que le projet défendu par le président Zuma est sans lendemain d’autant plus qu’il s’agit d’une initiative annoncée unilatéralement par le chef d’Etat sans l’aval de l’ANC.
Les débats passionnés suscités par la sortie de M. Zuma sur cette question ont poussé l’ANC à rejeter le plan du président pour proposer la mise en place d’un régime de compensation «juste et équitable».
L’ANC demeure, cependant, convaincu que la redistribution des terres aux Noirs représente un moyen de réduire les disparités qui persistent dans le pays, fomentant l’instabilité et la haine raciale.
«L’échec de régler cette question devra accentuer l’instabilité dans le pays dans les années à venir», indique Zizi Kodwa, Porte-parole de l’ANC.
En effet, l’écart toujours important entre une minorité blanche riche et puissante et une majorité noire acculée à vivre dans la pauvreté et l’exclusion revient toujours dans les analyses économiques et sociales en Afrique du Sud.
Selon des chiffres avancés récemment par le ministre des Finances, Pravin Gordhan, 95 pc des richesses du pays sont entre les mains de seulement de 10 pc d’une population, estimée à environ 55 millions d’âmes.
Dans les rangs des fermiers blancs, un vent de panique souffle face à une situation qui semble se diriger vers la remise en cause du principe de l’inviolabilité de la propriété privée consacrée lors des négociations entre l’ANC et les anciens dirigeants blancs du pays.
Les analystes mettent en garde, dans ce contexte, contre ce qu’ils ont qualifié de répétition en Afrique du Sud du scénario zimbabwéen, en référence à la réforme agraire mise en œuvre au Zimbabwe au début des années 2000 par le régime totalitaire de Robert Mugabe et qui s’est achevée dans la violence et l’effondrement de la production agricole.
Le débat sur la redistribution des terres intervient au moment où le secteur agricole sud-africain traverse une période difficile, ponctuée par une longue sécheresse et d’énormes problèmes sécuritaires.
Les investissements dans le secteur ont enregistré une baisse alarmante en raison de ces problèmes, indique Annelize Crosby, membre d’AgriSA, la plus grande association agricole en Afrique du Sud, soulignant que le nouveau projet mis sur la table par le président Zuma devra accentuer la crise.
«Une répétition du scénario zimbabwéen en Afrique du Sud serait catastrophique», indique Mme Crosby citée par le portail News24, relevant que le secteur est déjà en crise avec la baisse des fermes commerciales de 66.000 en 1990 à seulement 35.000 actuellement.
Par ailleurs, les médias sud-africains font état d’une hausse alarmante des attaques contre les fermiers blancs, soulignant que ces attaques pourraient être motivées par des considérations politiques liées aux promesses de redistribution des terres aux Noirs.
Des chiffres publiés par la police recensent 345 attaques contre les fermiers blancs en 2016, avec 70 morts.
«Le gouvernement, qui ne peut pas déclaré ouvertement la guerre contre nous, utilise ces méthodes (les attaques contre les fermes) dans une tentative de nous chasser de nos terres», indique Andries Breytenbach, président de Boere-Afrikanervolksraad, une organisation formée par des nationalistes afrikaners.
Le dernier projet de redistribution des terres représente la culmination de plusieurs années de pressions visant à chasser les blancs de leurs terres, indique Breytenbach, soulignant que la mise en œuvre du plan sera interprétée comme «une déclaration de guerre» contre les blancs.
Cette situation de tension a poussé de nombreux fermiers blancs, craignant une aggravation de la violence, à quitter le pays vers d’autres cieux plus cléments et surtout plus stables et sûrs, rapportent les médias locaux.
Arton, une entreprise offrant des conseils aux Sud-Africains désirant délocaliser leurs investissements à l’étranger, a fait état d’une hausse de 400 pc des demandes de renseignements dans ce sens durant le dernier trimestre.


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