Le Concert Hall de Copenhague, dernière audace de Jean Nouvel
Le Monde.fr/Frédéric Edelmann
Le Concert Hall de Copenhague n'avait pas encore été inauguré - la reine du Danemark devait s'en charger samedi 17 janvier - que déjà il faisait polémique. Comme d'habitude : le projet a été réalisé par le Français Jean Nouvel.
Reste qu'une fois encore, Nouvel a imaginé l'impossible, caprice qui lui est familier, mais que le lauréat 2008 du Pritzker, le Nobel de l'architecture, parvient à satisfaire, avec l'aide de ses chefs de projet et l'obstination de ses chefs de chantier.
Une des obsessions récurrentes de Nouvel est de convertir l'architecture à la religion du cinéma. Une manière peut-être d'échapper à la pesanteur, d'imprimer le mouvement à ce qui semble par essence statique. Ici, il donne à son grand ensemble musical la forme d'un parallélépipède recouvert de voiles bleus. Un bleu sombre qui rappelle cet instant, entre chien et loup, qui relie la fin des jours d'été nordique à la nuit claire. Sur les quatre côtés, il projette les concerts filmés à l'intérieur. Un travail de virtuose pour éviter que l'effet ne tourne au registre publicitaire et ne vienne troubler le mystère du silence. Selon l'usage, il est allé chercher son complice Yann Kersalé, génial baroudeur des mers de l'imaginaire haute tension.
La forme de l'édifice rappelle la sévère Kaba où est enchâssée la pierre noire de La Mecque. Passé le seuil, le vocabulaire devient explosif. Un univers instable, comme la banquise en débâcle, unifié par une batterie de projections colorées, films ou photos. Derrière l'unité flottante du monde de Nouvel, et au-delà de la complexité de la façade, les matériaux sont relativement simples, dominés par le bois, dans une variante volontiers fruste, façon chantier, et par un béton extrêmement soigné, dont l'apparence lisse rappelle avec bonté la peau d'hippopotame.
Au premier niveau, le foyer, sans limites perceptibles, occupé seulement par ces grandes caisses de transport des instruments en tournée. Elles sont ici aménagées pour abriter les vestiaires, les bars... Le jeu d'esprit pourrait être lourd, là encore il passe. Autour de cet espace central sont disposées quatre salles suréquipées.
L'esthétique est tour à tour saisissante, émouvante, éblouissante. Deux salles de 600 places accueillent, l'une, les cuivres et le jazz, l'autre, la musique de chambre. La première est noire et brillante, la deuxième est recouverte de bois marqué de grandes estampes noires. Une troisième, dont les parois rouges reprennent le système de l'Institut de recherche et coordination acoustique-musique (Ircam), à Paris, permet de faire varier l'acoustique pour deux cents mélomanes.
La grande salle, 1 800 places, semble taillée aléatoirement dans le bois mais reste dans la logique de la mystique musicale de l'édifice. Organisée autour d'une scène centrale, asymétrique, elle peut évoquer une succession de falaises du Hoggar, de dunes de sable brun.
La partie vouée aux bureaux emprunte avec bonheur à l'architecture nordique de grandes baies gloutonnes pour attraper la lumière du jour. L'édifice est en revanche rattaché au siège de la Radio danoise par un pont aéroportuaire atrocement lourd. Une erreur qu'on ne retrouvera pas dans le projet de salle philharmonique du même Nouvel, à Paris, trop autarcique pour imaginer un lien avec la Cité de la musique de Portzamparc. Il est vrai que la surdité est une caractéristique commune, peut-être nécessaire, à la plupart de ces grandes machines dites philharmoniques, dont les deux architectes français se sont fait une spécialité, à Lucerne, Minneapolis ou Copenhague pour Nouvel, à Luxembourg et Rio de Janeiro pour Portzamparc.