Le blocus économique de Gaza renforce les islamistes du Hamas
Le Monde/Michel Bôle-Richard
Soumise à un blocus israélien particulièrement strict depuis deux ans et demi, la bande de Gaza parvient malgré tout à survivre. Une survie précaire, avec des pénuries et des espoirs, des angoisses et des interrogations sur chaque lendemain.
Selon le dernier rapport de l'Office de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA), le chômage est passé de 32 % il y a un an à 49 %. La moitié des habitants de la ville de Gaza n'ont de l'eau qu'une fois par semaine pour quelques heures, et 80 % de cette eau n'est pas potable. Depuis plusieurs mois, certains Gazaouis ont recours à un sédatif puissant, le tramadol, appelé "tramal" afin de calmer leur anxiété et leur mal-être. La consommation était telle qu'il a fallu sérieusement en réglementer la vente dans les pharmacies. Ce qui n'empêche pas évidemment le marché noir. Pour le "tramal" mais pratiquement pour tous les produits. L'embargo a contribué à développer une gigantesque économie parallèle, un marché de substitution, un commerce clandestin pour que la bande de Gaza ne meure pas d'asphyxie.
Puisque les frontières avec Israël ainsi que l'accès au littoral sont hermétiquement clos, la seule source d'approvisionnement ne pouvait être que les 14 kilomètres qui séparent ce minuscule territoire de l'Egypte. Une frontière elle aussi barrée par un mur. Alors les Gazaouis ont creusé des tunnels, des centaines de tunnels. Il y en aurait plus de mille aujourd'hui. Mille cordons ombilicaux par lesquels passent tous les produits possibles et imaginables. "Les tunnels de vie", comme les appelle le Hamas.
Aujourd'hui, 50 % à 70 % des produits que l'on trouve dans les magasins proviennent d'Egypte. Tout ou presque passe par les tunnels y compris l'essence, la viande, les ordinateurs. Evidemment la qualité n'est pas toujours celle espérée et les prix ont explosé. Mais un véritable circuit est désormais en place depuis Port-Saïd à travers le Sinaï jusque dans les boutiques de Gaza et cela pour le plus grand profit d'intermédiaires qui, en quelques mois, ont amassé des fortunes car toutes les transactions s'effectuent avec paiement comptant. Le Hamas aussi bénéficie largement des retombées de cette économie parallèle. On parle désormais d'"islamistes millionnaires", de "trésor de guerre du Hamas". "Si vous voulez investir 10 000 dollars, un mois plus tard, on vous en donne 12 000", confie un commerçant. Le circuit est extrêmement rapide. Une espèce de folie, une course aux gains s'est emparée de Gaza pour ceux qui en ont les moyens afin de se préserver de l'avenir et se rassurer au présent.
Israël laisse faire. La volonté de l'Etat juif est de couper au maximum tous les liens avec la bande de Gaza. Le siège attise les antagonismes et le radicalisme. De son côté, le Hamas estime qu'il a brisé l'embargo, qu'il a assis son pouvoir. Bassem Naïm, ministre de l'éducation, de la jeunesse et des sports, voit ainsi dans la grande manifestation du 14 décembre, pour le 21e anniversaire de la création du Hamas, la preuve de la maîtrise acquise par le Mouvement de la résistance islamique, même s'il estime que "le ballon d'oxygène des tunnels n'est pas une solution". "Que faire ? dit-il. Nous n'avons pas le choix".
Car cette économie parallèle entretient de nombreux effets pervers que déplore Bassam Mortaja, directeur de la Chambre de commerce. Certes, elle permet de couvrir près de 90 % des besoins, estime-il, mais "ce système n'est pas sain, pas légal. C'est devenu la jungle. Pas de contrôles, pas de normes, tout cela prend un caractère mafieux". "Que faire ?, s'interroge lui aussi Maher Al-Tabbaa, chargé des relations publiques, lorsque 98 % des 3 900 entreprises ont été contraintes de fermer leurs portes à cause du blocus. Que faire lorsque nos conteneurs de marchandises sont bloqués depuis plus de deux ans sur le port d'Ashdod (en Israël) et que nous sommes obligés de payer les frais de stockage ?". Bassam Mortaja rêve de pouvoir travailler à nouveau avec les Israéliens et s'inquiète des dérives d'une économie sauvage qui fait régresser la bande de Gaza au temps du Moyen Age.
Déjà, il n'y a plus de liquidités. Les billets de banque filent par les tunnels pour payer la marchandise. Les queues sont immenses devant les distributeurs d'argent. Les coupons sont de plus en plus utilisés dans les échanges. Le Hamas a donc décidé de créer d'ici la fin de l'année une banque nationale islamique et une compagnie d'assurance.
Nous n'en sommes pas encore à la monnaie islamique. Mais patiemment, le Hamas construit ses institutions, accroît son contrôle sur le territoire. "Nous voulons construire la société islamique sur tous les plans. La résistance n'est pas uniquement armée", avoue Bassem Naïm. "Lorsque l'on a goûté à l'ivresse et au prestige du pouvoir, fait remarquer Ismaïl Omar Shaban, il est très difficile de s'en passer".