Le chantier de la Cité de la musique à Rio de Janeiro a été suspendu
Le Monde.fr/Frédéric Edelmann
C'est une histoire joliment "carioca", qui devrait donc faire se succéder insultes et embrassades. En cause : le financement de la Cité de la musique de Rio de Janeiro, dessinée par le Français Christian de Portzamparc - déjà auteur de celle de Paris - et pratiquement terminée.
Le projet, lancé en 2002 par l'ancien maire de Rio, Cesar Maia (Parti libéral, DEM), avait alors été estimé à 80 millions de reals (moins de 25 millions d'euros). L'édifice en a déjà englouti 518 millions, soit près de 160 millions d'euros. Il ne manque plus que quelques mois de travaux, et, selon la mairie, 40 millions de reals, 80 millions selon le constructeur.
La Cidade de musica est une magnifique construction en lévitation, à Barra da Tijuca - quartier de tours résidentielles de la zone ouest -, qui s'étend sur plus de 95 000 m2. Le gros oeuvre est terminé et une partie des finitions, difficile à évaluer, alors même que le projet pourrait être en partie amendé. Survolant la Barra da Tijuca en hélicoptère, Portzamparc n'avait pas été exalté par le site. Mais l'idée d'inventer un projet culturel au milieu de "ce centre impossible" l'a conduit à imaginer un dispositif naval au coeur des boucles d'autoroute, et de penser une Cité surélevée, composée de deux terrasses d'où l'on pourrait "découvrir les montagnes, la mer, la ville".
Le projet, qui avait été plutôt bien accueilli, a cependant été victime d'une certaine fantaisie locale, que Portzamparc ne peut que constater. Ainsi, la Cité à peine commencée, la mairie a préféré miser sur les Jeux panaméricains de juillet 2007. En 2006 et 2007, les entreprises ont été priées d'arrêter le chantier et d'attendre sagement pour être payées - situation rarement propice à la maîtrise d'un tel chantier.
PORTE-AVIONS MÉLODIEUX
En 2008, cependant, M. Maia décide de mettre les bouchées doubles. Jusqu'à trois mille ouvriers travailleront alors pour finir ce grand porte-avions mélodieux, de façon qu'il puisse être inauguré au moins en partie par le maire, qui termine son troisième et dernier mandat le 31 décembre 2008. L'élection a lieu fin octobre, et c'est le centriste Eduardo Paes, du PMDB, proche de Lula, qui obtient 50,8 % des voix, devançant le candidat du Parti vert. Paes prend ses fonctions le 1er janvier et décide donc la suspension des travaux pour quatre mois, le temps d'étudier le financement et la validité du projet.
Selon le quotidien Folha de Sao Paulo, il aurait consommé en 2008 "un quart des investissements en travaux de la mairie". Faisant valoir que de nombreux Cariocas auraient préféré une réalisation plus modeste, et que les sommes dépensées pour cette réalisation auraient dues être investies dans l'éducation et la santé, dont Rio a cruellement besoin. Ni Portzamparc ni son travail ne sont mis en cause. Au Brésil, l'architecte n'a aucune maîtrise sur les appels d'offres et les contrats avec les entreprises. C'est Rio Urbé, importante entreprise municipale d'urbanisation, qui a géré les coûts, et l'Atelier Portzamparc assure n'être en rien responsable de la dérive des dépenses.
L'inauguration souhaitée par M. Maia a été annulée et remplacée, le 26 décembre 2008, par un plus modeste concert, auquel M. Paes n'a pas souhaité assister. Mais le quotidien O Globo, dès le 29 décembre 2008, s'est porté au secours de la Cité, décrivant avec lyrisme ses qualités architecturales et la qualité de son acoustique. Au reste, Portzamparc, dont la Cité est terminée à 95 %, ne se montre pas très inquiet. "Depuis le début", nous dit-il, il s'est préoccupé "des dimensions populaires de sa Cité, notamment de la présence de la danse et de l'enseignement".
Aux premières heures de l'ère Paes, Christian de Portzamparc a rencontré longuement Jandira Feghali (PC), candidate à la mairie, que M. Paes a intégré à son équipe comme secrétaire à la culture. Dans les prochains jours, Paes, Feghali, ainsi que les nouveaux responsables de la candidature de Rio aux Jeux olympiques de 2016, devraient visiter avec l'architecte ce chantier si vite inauguré.