Le nouveau roman égyptien plonge au coeur des maux et des tabous de la société arabe

AP

Le Caire - Une nouvelle génération d'écrivains égyptiens a pris la relève, quatre années après son décès, du maître de la littérature arabe Naguib Mahfouz. Loin des préoccupations politiques de leurs prédécesseurs, ces jeunes auteurs esquissent un nouveau roman plus introspectif, explorant avec une certaine candeur l'intime, la vie quotidienne, les maux et les tabous de la société arabe.

Naguib Mahfouz
Naguib Mahfouz
Auteurs ces dernières années d'un flot de romans populaires auprès de la jeune classe moyenne égyptienne, les nouveaux romanciers égyptiens ont adopté un style plus accessible, pimenté de culture pop arabe et souvent imprégné du langage Internet.

Cette renaissance du roman en Egypte a alimenté, et été alimentée, par l'apparition de cafés-librairies et la création de nouveaux prix littéraires arabes.

C'est incroyable que ce genre de roman soit populaire, si l'on considère la diffusion et l'influence du conservatisme religieux'', remarque Hamdi Abou Golayyel, l'un des nouveaux auteurs les plus en vue. Nous sommes plus proches des questions de tous les jours'', estime l'écrivain de 42 ans. Nos oeuvres ont évacué le traitement des grandes questions et se sont débarrassées du fardeau d'écrire de la prose pour la postérité.''

Ces auteurs marquent la rupture avec leurs prédécesseurs, comme le monstre sacré de la littérature arabe, le prix Nobel Naguib Mahfouz, connu pour ses descriptions à l'emporte-pièce de la société égyptienne, ou des romanciers des années 70 à 90 qui décrivaient souvent la vie sous la dictature ou le monde arabe après les défaites contre Israïl.

Mais si la plupart des auteurs de cette nouvelle vague littéraire ne sont pas ouvertement engagés politiquement, l'attention qu'ils portent à l'aliénation de l'individu est un appel subtil au changement dans un pays marqué par des décennies d'autoritarisme et la pauvreté de plus de la moitié de ses 80 millions d'habitants.

Alaa El Aswany est devenu le fer de lance du nouveau roman égyptien, avec la parution en 2002 de L'immeuble Yacoubian'', aujourd'hui best-seller. Il y dépeint une Egypte où les rêves des pauvres sont constamment brisés, tandis que la corruption, les injustices sociales et l'extrémisme religieux fleurissent.

Le dernier roman d'Hamdi Abou Golayyel, ô ô Un Chien sans queue'', est aujourd'hui l'un des plus représentatifs de cette nouvelle vague. Il y raconte l'histoire semi-autobiographique d'un pauvre villageois bédouin devenu ouvrier du bâtiment au Caire. Avec humour, le récit suit le protagoniste aux plus obscurs confins de la vie cairote: prostitution, usage de stupéfiants et brutalité du système de classes.

Mes amis et moi étions presque complètement mis au ban, marchant dans les rues du Caire comme si nous étions citoyens d'un autre pays lointain que nous aspirions à rejoindre'', écrit-il de la vie périphérique du sous-prolétariat cairote.

Plus sombre est l'histoire relatée dans le roman Adieux au Paradis'' d'Ahmed Abdel-Samad, paru en 2010. C'est le récit de l'enfance du narrateur, marquée par les viols répétés qu'il subit de garçons plus âgés et la triste découverte que son père, chef religieux vénéré, n'est pas différent des autres hommes du village. Le jeune homme s'installe en Europe pour tenter de cicatriser ses plaies, mais il finira interné dans un centre psychiatrique en Allemagne.

Le style de cette nouvelle génération est peut-être le plus manifeste dans Dans la peau d'Abbas'' d'Ahmad Alaidy, paru en 2003, qui raconte le quotidien d'un employé de magasin vidéo dans une forme fragmentée, entremêlée de références à la culture pop et souvent en langage SMS. Pour ce vendeur, les films occidentaux et le téléphone portable sont le seul exutoire d'une vie socialement pauvre et emplie de désirs sexuels inassouvis.

Dans le monde d'aujourd'hui, les livres entrent en concurrence avec les tickets de cinéma ou un paquet de cigarettes pour le divertissement. Si vous ne captivez pas le lecteur dès la première page, il est perdu pour de bon'', explique Ahmad Alaidy, auteur de 35 ans.

Avec Colère perdue'' (2009), Mazen al-Aqaad plonge quant à lui dans le monde de l'Internet, haut lieu de rencontre de la jeunesse égyptienne. Son jeune narrateur administre un forum de personnes traumatisées par la vie qui partagent son désir de suicide. Ils organisent une soirée en l'honneur d'un jeune couple qui a décidé de passer à l'acte mais le couple change d'avis au dernier moment et, désabusés, les autres participants s'énervent et les battent à mort.

Beaucoup des auteurs de la nouvelle vague littéraire espèrent qu'elle aura un impact sur la société. Sans être politique, la stimulation intellectuelle créée par toute cette littérature apportera un jour une réforme et aidera à endiguer les dangers de l'extrémisme religieux et du sectarisme'', dit espérer Mohammed Hashem, fondateur de Dar Merit, maison d'édition de ô ô Dans la peau d'Abbas'' et d'autres oeuvres plus expérimentales. ô ô Si je vis encore dix ans, je pourrais bien finir par voir tout ce que j'ai essayé de faire porter ses fruits'', prédit Hashem.


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