Les images toujours élégantes de Marc Riboud
lemonde.fr/Michel Guerrin
Il a une belle tête de Riboud, avec sa chevelure blanche. Une élégance dans les gestes et les mots. Du point de vue du CAC 40, il est le raté de la famille. Ses frères, Antoine et Jean, se sont bien débrouillés dans les affaires. Marc Riboud a réussi comme photographe populaire, et son exposition au Musée de la vie romantique, à Paris, attire beaucoup de monde.
Comme tous ces photographes de l'après-guerre, qui ont fait du reportage en se promenant dans le monde, Marc Riboud, 85 ans, a longtemps vécu de son talent et de ses publications dans la presse. "Les journaux n'ont plus d'argent, il n'y a que des portraits de personnalités, et on ne pense pas à moi pour faire du people. Dommage." Il vit désormais de la vente de tirages à des collectionneurs. "Sinon, je devrais mendier en bas de la rue."
Il aime le rond
Son fameux Peintre de la tour Eiffel, une de ses premières photos, en 1953, est très demandé. Il lui préfère son portrait de Churchill, après son dernier discours de président du Parti conservateur. "C'était un sacré gaillard, et un solide buveur de whisky. Après son discours, il a bu un grand verre d'eau, a regardé tout le monde, et il a dit : "Je l'ai fait juste pour vous montrer que je le peux." "
Riboud est un photographe classique, qui aime les images bien composées comme d'autres les chambres rangées. "Tu es né avec un compas dans l'oeil", lui a dit Henri Cartier-Bresson ( HCB). Il fut en effet un élève médiocre, mais un as en géométrie. Il aime le rond, et ça se voit dans ses photos. "Je ne crois pas au talent, je crois aux prédispositions. Les miennes, ce sont les formes, plus que l'intellect, l'écrit ou la parole."
Cartier-Bresson est son maître. En 1952, il achète son livre mythique Images à la sauvette, dont il a tant tourné les pages qu'elles sont abîmées. Il y apprend le sens du cadrage. Mais il manque à ses photos le piment qui fait la différence. C'est à peu près ce que Cartier-Bresson lui écrit, dans une lettre qui figure sous vitrine dans l'exposition. Leur relation fut complexe. Car le maître était à la fois amical et dur avec son disciple. Alors que ce dernier doit choisir entre ingénieur et photographe, HCB lui dit que "rester dans ce métier est hasardeux". Et lui conseille d'aller travailler pour l'Agence France Presse (AFP), ce que Riboud perçoit comme un enterrement. Et ce n'est pas Cartier-Bresson qui le fait entrer à l'agence Magnum, en 1953, mais Robert Capa, qui lui dit deux choses : "Tu es timide, tu ne parles pas anglais, donc tu vas à Londres, et tu vas voir les filles."
Masochiste, Riboud ? "C'est pour ses jugements durs qu'Henri était bien. Il m'a engueulé, mais il a aussi été d'une grande générosité avec moi. Et puis il engueulait tout le monde. Sa dureté, c'est sa force. Ça vient de sa fréquentation des surréalistes, de vrais sectaires qui brûlaient tout." Pendant deux ans, HCB n'a pas adressé la parole à Riboud. Pourquoi ? "J'ai oublié." Mais il a cette phrase en retour : "Henri, longtemps, a vibré avec le monde, avant de finir dans un classicisme figé."
Le thé avec Ho Chi Minh
Pour son premier grand voyage, en 1955, Riboud choisit l'Asie. "Je voulais partir au bout du monde, et je suis allé à Calcutta en voiture. Puis en Chine." Il montre une Chine au quotidien, plutôt sympathique. Mais ne voit pas les atrocités du régime de Mao. "Je venais de passer un an en Inde, où j'avais vu la pire des pauvretés, alors qu'en Chine, je voyais des gens travailler. J'étais tout seul, je marchais, je n'avais pas le droit d'aller chez un Chinois, mais comme je ne parlais pas la langue... Je ne savais pas que, au même moment, il y avait un million de morts dans le sud du pays." Il dit aussi : "Les grandes révolutions passent par là." Ou encore : "Je déteste la Chine d'aujourd'hui, les excès du capitalisme."
Riboud est journaliste quand il dit qu'il faut aller des deux côtés. Ce qu'il a fait durant la guerre du Vietnam, même s'il se sentait "en sympathie avec les gens du Nord : c'était l'époque". Il a pris le thé avec Ho Chi Minh, qui lui parle en français de Maurice Chevalier, et il est également fier de deux articles qu'il a signés en première page du Monde : en 1967, quand il raconte la vie à bord d'un porte-avions nucléaire ; en 1968, quand il relate une visite au Nord-Vietnam. Mais ses photos ne sont pas celles d'un photojournaliste. Il marche et découvre, mais il est plus intéressé par la forme que par l'événement ou le sujet. "Il faut améliorer la prise de vue, comme Hemingway améliorait la phrase."
Aujourd'hui, il aime redonner vie à quelques-uns de ses 350 000 négatifs, qu'il n'avait pas retenus en leur temps. Parce que son goût évolue. "J'aime les chemins de traverse, sinon le présent serait ennuyeux." Ce qui donne une exposition bizarre, dans un lieu déjà ingrat : d'excellentes photos n'y sont pas, au profit de moins bonnes. Des images célèbres sont remplacées par des variantes, parfois en couleur. Il perçoit la limite de l'exercice. Mais ce qui compte, c'est que le public vient en masse, dit-il, car ça lui donne "du pschitt". Comme il est excité par la donation à l'Etat de son oeuvre photographique. C'est en préparation. Et Marc Riboud aime regarder devant lui.
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"Marc Riboud, l'instinct de l'instant - 50 ans de photographie", au Musée de la vie romantique, 16, rue Chaptal, Paris-9e. Ouvert tous les jours, de 10 heures à 18 heures, sauf les lundis et jours fériés. Entrée : de 3,50 € à 7 €. Jusqu'au 26 juillet. Catalogue aux éditions Paris-Musées, 152 p., 30 €.