Libye: la brigade Al-Jazira, sa guerre du désert, ses amis français, le gaz
AFP
Après six mois de guerre du désert face à l'armée libyenne, la brigade Al-Jazira se repose dans l'oasis de Djofra (sud), pas mécontente d'avoir échappé au gaz innervant des forces de Mouammar Kadhafi et regrettant les quatre militaires français qui l'accompagnaient.
A Sokna, une ville de l'oasis, "on a trouvé une ferme où Kadhafi avait un élevage de chameaux de course d'Arabie Saoudite, on m'a dit que celui qu'on a mangé valait deux millions de dollars. Mais on ne savait pas", rigole le coquet jeune homme de 21 ans, en tee-shirt et keffieh roses.
Composée de volontaires de l'est du pays, de grands gaillards burinés à la barbe noire, la brigade a couvert le flanc sud du front depuis fin avril, pour empêcher que les révolutionnaires conquérant les villes de la côte méditerranéenne ne soient pris à revers.
Une chevauchée de plusieurs milliers de kilomètres dans le désert brûlant, sur des pick-up équipés d'armes lourdes et barbouillés d'une boue de sable et d'essence, d'oasis en oasis: Aoudjila, Jalou, Tazerbo, Zillah...
"On s'est beaucoup battus", résume le jeune chef d'Al-Jazira, Hakim Mazeb Saadi.
Pour tous, le souvenir le plus marquant est la bataille à Zillah (800 km au sud-est de Tripoli), il y a deux mois. Selon le commandant, "les kadhafistes ont utilisé du gaz innervant contre nous. Trois de mes hommes sont morts étouffés. D'autres ont vomi, fait des crises d'épilepsie. On ne s'y attendait pas".
Le gaz innervant paralyse le système nerveux, provoquant la mort par asphyxie.
"On a eu de la chance, le vent a tourné et éloigné le gaz. Ensuite on s'est battus 22 jours contre eux. Ils étaient 250 soldats avec des canons lourds, des mitrailleuses lourdes, des lanceurs de roquettes Grad", se souvient Hussein Abd Algader, 26 ans.
Et pour contrer ce déluge de feu, "l'appui aérien a été d'une grande aide", reconnaît Hakim Mazeb Saadi.
Quatre militaires français coordonnant l'action des révolutionnaires au sol avec les frappes aériennes de l'Otan ont passé trois mois avec les combattants, qui en gardent un souvenir ému.
"On était isolés dans le sud, donc l'Otan les a envoyés. Brice, Félix, Angel et Cartier", énumère Hussein, "ce sont de très bons amis".
"Brice, c'est mon préféré", claironne Ahmed Misrati, "il est très gentil, il venait toujours nous soigner quand on était blessés".
Arrivés en avion sur l'aéroport militaire de Houn (640 km au sud-est de Tripoli), les Français sont repartis en voiture il y a deux semaines pour Benghazi (est), sur la côte, selon les combattants.
Les agents avaient positionné leur QG, d'où ils fournissaient les coordonnées pour les bombardements, dans la salle de conférence du seul hôtel de Houn, squatté par la brigade. Dans un coin de la pièce traînent des rations militaires françaises: "Porc en salade" dit l'étiquette.
La brigade explique s'occuper désormais de "protéger les installations gouvernementales" de l'oasis, qui contient un invraisemblable arsenal de centaines de blindés, d'avions de combat hors d'usage, et même des armes chimiques (du gaz moutarde).
Une partie de la population reste hostile -un tir de RPG il y a quinze jours, parfois une rafale d'AK47- car malgré la mort de Mouammar Kadhafi, "certains espèrent toujours en Seif Al-Islam", un de ses fils en fuite, qui était considéré comme son dauphin, explique le commandant.
Pas vraiment de quoi inquiéter les rois du désert qui le soir, lorsqu'ils ne sont pas de garde, font la fête dans leur hôtel décrépit.
La musique est forte, on danse, on chante. L'alcool prohibé en Libye est absent, mais le haschich fait tourner les têtes.
"Peut-être qu'on va rentrer d'ici un mois", dit d'une voix pâteuse Ahmed Misrati, originaire d'Ajdabiyah (est) aujourd'hui détruite. "Mais ça a été la meilleure période de ma vie".