Madagascar : L'heure du choix pour Andry Rajoelina

Courrier international.com/Ndimby A.

Frustrée, appauvrie, lésée, blessée, et même sans doute, pour quelques-uns, financièrement motivée, la foule de la place du 13-Mai [place au cœur de la capitale malgache, lieu historique de contestation du pouvoir] se voit promue au rang de peuple malgache.

Madagascar : L'heure du choix pour Andry Rajoelina
En près de trois mois, ces quelques milliers de personnes à Antananarivo et dans les régions sont devenues une véritable force qui s'est imposée aux 18 millions de Malgaches, en cumulant plusieurs atouts : un courage indéniable, des haut-parleurs de sonorisation mobile, et maintenant la protection bienveillante des fusils du Corps d'armée des personnels et des services administratif et technique (CAPSAT). Le pouvoir vient donc du peuple, qui le donne et le reprend.
Il est indiscutable que, dans une démocratie réelle, le pouvoir est placé pour un temps par le peuple entre les mains des dirigeants. Mais cela donne-t-il autorité au peuple pour le reprendre n'importe quand, par n'importe quel moyen et, surtout, à travers n'importe qui ? Dans ce cas, quelle est la valeur du droit ? A partir de quel chiffre une foule peut-elle se targuer d'être le peuple ? Quand on veut s'approprier le pouvoir, a fortiori en dehors des règles constitutionnelles, il faut se constituer un solide arsenal d'arguments pour provoquer l'enthousiasme de la foule. Le chapelet d'erreurs de Marc Ravalomanana a constitué un terreau favorable. Atteinte à la liberté d'expression par l'impossibilité pour les opposants d'accéder aux chaînes de l'audiovisuel public, mais aussi par la fermeture d'émissions ou de stations audiovisuelles. Atteinte aux valeurs nationalistes, en favorisant l'immixtion d'étrangers dans les sphères de décision économique et politique à Madagascar, allant même jusqu'à tenter de vendre 1,3 million d'hectares aux Sud-Coréens. Gabegie, en effectuant des dépenses faramineuses qui ne profitent pas au peuple, telles que l'Air Force One Number Two [le nouvel avion présidentiel]. Aveuglement, en se concentrant sur des sujets considérés comme inutiles (ainsi l'accueil du sommet de l'Union africaine qui n'intéresse pas les Malgaches). Et enfin, trahison, en faisant venir des mercenaires pour encadrer l'EMMO/Nat [les forces de l'ordre composées de membres de l'armée, de la gendarmerie et de la police]. Ce point sera sa plus grosse erreur, car il s'est mis à dos à la fois une partie de l'opinion publique et les officiers et sous-officiers malgaches.
Tous ces thèmes ont servi de ferment à la grogne, et il a suffi qu'Andry Rajoelina les aligne peu à peu dans les discours. De plus, en temps de crise politique, l'objectif n'est pas de s'adresser à l'intellect des gens par des démonstrations savantes, mais de s'adresser à leurs émotions en leur racontant ce qu'ils veulent entendre, quitte à flirter avec les mensonges. Le coup de génie de l'ancien maire d'Antananarivo quand il a préparé sa crise est d'avoir mis en place un quatuor d'éditorialistes, bourrés de divers talents, dont tous ne sont cependant pas louables. Mais le fait est que ces éditorialistes ont réussi à galvaniser les foules, à maintenir la pression, à prêcher la bonne parole, proférer des menaces et autres imprécations pour orienter la vindicte populaire. Populisme et flatterie envers la plèbe ne pouvaient donner qu'un seul résultat : une ambiance de kolkhoze (coopérative de l'époque soviétique), où la hiérarchie n'existe plus et dans laquelle tous se sentent dirigeants, responsables, sans considération de valeurs, de compétences ou de discipline. Est-il donc étonnant de voir et d'entendre des scènes qui ne devraient exister que dans les films de voyous ? Un adjudant qui se permet de braquer son arme sur un vice-amiral. Des syndicats qui votent la destitution de leur directeur général. Un colonel qui s'autoproclame chef d'état-major des forces armées. Des graines de potence à l'haleine avinée qui s'improvisent comité de vigilance pour racketter les automobilistes aux barrages. Il semblerait que toute la société malgache soit en crise d'adolescence, à l'image de Andry Rajoelina.
Le problème est que les Malgaches ont semble-t-il perdu une capacité de vision à long terme, d'où cet aspect cyclique des crises politiques. A force de caresser la plèbe pour favoriser son érection chaque fois qu'un politicien ambitieux mais impatient se sent pousser des ailes, on efface de plus en plus les limites entre le bien et le mal, le juste et l'injuste, le vrai et le faux, le légal et l'illégal. Ces notions deviennent finalement à géométrie variable en fonction des intérêts politiques. En 1972, on a essayé tant bien que mal d'organiser des débats populaires appelés vovonana. En 1991, des conférences nationales, qui ont servi de salle d'accouchement pour la Constitution de la IIIe République. En 2002, la rue a suffi à donner un coup de barre à des résultats d'élections incertains. Pour 2009, Andry Rajoelina tentera-t-il quand même d'y mettre les formes en participant aux Assises nationales organisées par le Conseil des Eglises chrétiennes (FFKM), ou bien écoutera-t-il le chant des faucons parmi les politiciens et les militaires, qui tentent de lui faire croire que ce n'est plus la peine ? Rappelons toutefois que la sagesse ne se trouve pas toujours dans les voix les plus insistantes, car la raison n'est pas une question de décibels.


Commentaires (0)
Nouveau commentaire :