Migrants en Méditerranée: déchirure de l'exil et espoir vus par des écrivains d'Afrique et d'Europe

AFP

​Paris - Des écrivains du monde méditerranéen et d'Afrique publient seize fictions inédites sur des destins de migrants, donnant chair avec force à la déchirure de l'exil, aux espoirs d'une autre vie ou à l'horreur rencontrée en chemin, dans un recueil en soutien à SOS Méditerranée.

"Près de 20.000" migrants - hommes, femmes, enfants - se sont noyés depuis 2014 en tentant la traversée de la Méditerranée; sommes-nous en train de nous habituer à l'idée que la Méditerranée est devenue un cimetière?", interpelle dans la préface la journaliste Natalie Levisalles.

Elle a dirigé chez l'éditeur Actes Sud ce recueil paru mercredi en France, intitulé "Méditerranée, amère frontière", en collaboration avec Caroline Moine, membre fondatrice de SOS Méditerranée France, ONG qui porte secours aux migrants en Méditerranée.

Dans ces textes très divers, des auteur(e)s d'origines sénégalaise, marocaine, tunisienne, syrienne, libanaise, grecque, espagnole, turque, égyptienne ou italienne donnent chair aux parcours hors norme de ces migrants, loin des stéréotypes sur le sujet.

Dans un texte magnifique, l'écrivain français d'origine congolaise Wilfried N'Sondé décrit avec un réalisme secouant les tripes la vie de migrants, "poussières errant au milieu du désert", "lambeaux de peau" sur les grillages hérissés de barbelés, leur "solitude", leur conditionnement psychologique pour parvenir à cette "envie de beau, de sécurité et de confort".

La romancière tunisienne Fawzia Zouari nous transporte dans les pensées d'un jeune Tunisien, qui a payé le passeur avec "les sept bracelets de la dot de sa mère". Ce sera Lampedusa, la France et les rues de Paris, jusqu'à un incendie qui lui sera fatal dans un foyer.

"Je me répétais que je n'avais pas peur de me noyer, vivre au pays était déjà une noyade", dit-il à propos de sa traversée de la Méditerranée. "Je filais vers mon avenir d'Europe" et le moyen de "racheter tous les bracelets de la terre pour maman".

Et dans les mots d'une grande sensibilité de l'auteure, le jeune explique pourquoi il a risqué sa vie, en raison d'un "sentiment": "ce bonheur de ne plus voir la tête à l'envers des gars de mon village, et tout le clan qui veille comme sentinelle sur mon existence". "J'avais envie d'un pays qui ne me pèse pas comme un lourd manteau. D'un lieu où personne ne me juge, ni ne m'accable pour mes choix".

Le romancier ivoirien Gauz a pour sa part choisi un ton ironique pour conter la réussite de "Black Manoo", qui au bout de la 7e tentative a obtenu un visa d'affaires: il s'appelle désormais "François Joseph Clozel", entrepreneur qui s'en va à un salon du BTP à la périphérie de Paris.

Mais il est inquiet: "la photo dans son passeport lui ressemble autant qu'une otarie ressemble à un rhinocéros". Son passeur le rassure: "à Abidjan, tu vas passer sans problème, il suffit d'arroser. A Paris, le principe est toujours le même: tous les Noirs se ressemblent, tu vas passer..."

L'écrivain algérien Samir Toumi décrit lui avec émotion d'autres réalités de ces migrations: ces mères algériennes qui dans les manifestations du vendredi brandissent "des heures durant" la photo de leur enfant disparu en Méditerranée. Ou le sort des ces "milliers de Subsahariens", qui une fois avoir bravé la soif du désert et arrivés en Algérie, sont "terrorisés, se cachent", sont parfois "raflés" par la police et reconduits "au fin fond du désert".

A propos de l'arrivée en Europe de ces migrants, Wilfried N'Sondé nous interpelle: "Humbles, à genoux, ils observent d'en bas l'occasion ratée de bâtir; ils ont écorché leurs doigts et brisé leurs ongles (...) ils se réjouissent de te rencontrer bientôt". "Tends au moins ton oreille, à défaut de ta main".

"La houle effacera lentement le sang coulé sur les frontières, mais il restera, indélébile, dans la mémoire du temps", rappelle l'auteur.

Tous les bénéfices de ce livre seront reversés à SOS Méditerranée, précise l'éditeur.


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