Parlons de foi

Hdhod - CGNews

Al-Husein N. Madhany (Hdhod - Cgnews) - La veille de l’élection présidentielle américaine, en novembre dernier, je me trouvais à l’aéroport de San Francisco où je faisais enregistrer mes valises. Je donne mon permis de conduire à l’employée en lui disant mon nom. Dans son regard, derrière un masque de strict professionnalisme, je distingue l’incompréhension et l’appréhension. Ce regard, je l’ai déjà vu souvent.

Al-Husein N. Madhany
Al-Husein N. Madhany
“Je suis désolée”, dit-elle prudemment, s’excusant d’avance de sa réaction à mon nom.
“Mon prénom est al-Husein, vous savez, comme dans Saddam Hussein”, lui répondis-je, non sans malice. A son tour, elle réagit par un regard vague et un petit rire nerveux. Puis je laisse s’écouler quelques secondes avant de revenir à un mode de conversation normal.

Ce genre de conversation m’a accompagné à chaque instant de ma vie depuis la guerre du Golfe jusqu’aux résultats de la présidentielle de 2008. Pour la plupart des Américains, le musulman était cet “autre” qui fait peur, et nous existions quelque part dans l’imaginaire populaire comme des habitants de cette partie grise et lointaine du globe que serait, par exemple, la France. Pour eux, nous n’étions pas des voisins qui vivaient, travaillaient et priaient dans la même communauté, au même titre que les non-musulmans.

Le but de mon petit numéro à l’aéroport, comme le but d’une bonne partie de ma vie professionnelle, consiste à mettre en lumière les blancs qui parsèment les rapports entre musulmans américains et tous les autres Américains vivant dans ce merveilleux pays.

Cette perception du musulman comme “autre” est si généralisée qu’il faut absolument que les Américains fassent un pas vers leurs voisins musulmans et réciproquement.

Or voici que cette élection fait toute la différence.

Deux jours après cet incident, à mon retour à l’aéroport de San Francisco, un autre employé sursauta à son tour à l’énoncé de mon nom. Mais j’avais déjà revu mon numéro.

“Mon prénom est al-Husein”, lui dis-je. “Vous savez, comme dans Barack Hussein Obama”.

Dans une entrevue télévisée avec la chaîne Al-Arabiya de Dubaï, Obama a rappelé que, bien que chrétien, il a aussi une grande famille élargie musulmane. Et c’est lui l’homme qui est devenu le premier président afro-américain de notre pays. Malgré toutes les rumeurs de campagne qui voulaient faire de lui un cryptomusulman, 68 millions d’Américains l’ont envoyé au bureau ovale.

Depuis cette élection, mes voisins et mes camarades de travail me voient plus facilement comme un Américain. Ce n’est peut-être qu’une impression, partagée par beaucoup d’islamo-américains, mais elle est constamment renforcée par les allusions que fait notre dirigeant à son passé musulman (et américain). Le président continue d’affirmer publiquement que “beaucoup d’autres Américains ont des musulmans dans leur famille, ou ont vécu dans un pays à majorité musulmane. Je le sais, parce que je suis l’un d’eux”.

D’une manière générale, les Américains voient les musulmans un peu plus clairement qu’auparavant. C’est Obama qui, en ouvrant cette porte, a permis aux Américains de se poser la question : “Qui sont, et où sont les Américains musulmans ?”

Quant à nous, qui avons vécu en Amérique des vies utiles et pourtant largement ignorées, nous saisissons l’occasion créée par notre président pour sortir de notre placard collectif.

Plus que jamais, les Américains musulmans défendent l’Amérique, au lieu de se défendre contre l’Amérique. Nous le faisons pour répondre à l’invitation que nous a lancée notre président de servir l’Amérique et les Américains, en cette époque où elle en a plus besoin que jamais. Nous observons ce phénomène dans tout le pays, par exemple au niveau des dispensaires gratuits fondés par des musulmans à l’intention de leurs voisins, comme la clinique de l’Umma à Los Angeles ou la clinique IMAN à Chicago.

La présidence Obama nous a permis de nouer un dialogue que nous, les Américains, redoutions : un dialogue dans lequel nous apprenons à connaître les croyances et les traditions de l’autre, après avoir mis de côté nos préjugés et nos parti-pris. Le président nous a donné l’exemple de l’instauration de ce dialogue interreligieux : dans un premier temps, en faisant entrer des responsables religieux juifs, musulmans, catholiques et hindous dans son Conseil consultatif sur les partenariats confessionnels et de voisinage ; ensuite en confiant à son Conseil consultatif des tâches dans l’intérêt de tous, dans l’esprit de service que nous devons à notre pays.

Dans mon travail pour Patheos (site mondial de débat en ligne sur la religion et la spiritualité), je me mets au service de l’Amérique, en favorisant ce dialogue et, au-delà, en aidant à jeter les passerelles qui peuvent rapprocher des gens de confessions différentes.

On trouve dans Patheos des articles se rapportant au discours d’Obama en Egypte, en provenance de tout l’éventail des traditions confessionnelles : protestants, comme Daveed Gartenstein-Ross, l’auteur de My Year inside Radical Islam, juifs comme le rabbin David Saperstein, ou Joel Hunter, un des évangéliques les plus célèbres des Etats-Unis. Le site présente également une dizaine de points de vue musulmans sur le voyage du président au Moyen-Orient.

On y trouve également une “place publique” où les visiteurs peuvent apprendre comment sont traités, dans leur propre tradition et dans les autres, des problèmes d’intérêt commun, comme le mariage homosexuel, l’avortement, le martyre ou encore l’autorité religieuse.

Les Américains ont atteint un niveau où ils ne peuvent plus se contenter de clichés sur l’”autre” en sa religion. A partir de là, le dialogue mondial sur la religion et la spiritualité doit se faire au vu et au su de tous, pas seulement pour notre confort personnel, mais dans l’intérêt de tous.

Il était grand temps.


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