Pini Balili, un footballeur en terrain miné

Le Monde.fr/Guillaume Perrier

"Ce sont les moments les plus difficiles de ma carrière", confie Pini Balili, affalé dans un fauteuil en velours rouge à la sortie de l'entraînement. Il baisse le regard et remue le thé fumant posé devant lui. "Mes sentiments sont partagés", soupire-t-il avec un sourire qui en dit long.

Pini Balili, un footballeur en terrain miné
Cet homme de 29 ans, seul footballeur israélien à évoluer dans le championnat de Turquie, a connu quelques semaines agitées depuis fin décembre et le lancement des opérations de l'armée israélienne à Gaza.
Après avoir envahi les écrans de télévision et les rues, le conflit et le ressentiment anti-israélien se sont invités dans les stades. Régulièrement pris à partie par des supporteurs pendant les matches disputés à travers le pays, Balili a encaissé sans broncher. Sa colère reste contenue. Il dit s'être senti "très mal", mais ne veut pas s'attarder sur les insultes et les slogans anti-israéliens qui ont ponctué les derniers matches. L'attaquant de l'équipe anatolienne de Sivas, sélectionné à trente reprises en équipe nationale d'Israël, se serait bien passé de ce soudain accès de notoriété.
C'est le public du club stambouliote de Galatasaray qui a déclenché la polémique, fin janvier, au cours d'un quart de finale de la coupe de Turquie, contre Sivas. Des "A bas Israël ! Balili, fils de p..." sont montés des tribunes, après un but marqué par le joueur israélien de Sivasspor. Mais, dès le lendemain, les supporteurs de clubs rivaux d'Istanbul et d'Ankara ont pris la défense du footballeur, condamnant le "racisme" de ces slogans. Le club de Galatasaray a été condamné par la fédération turque à une amende de 45 000 livres turques (22 000 euros), mais des chroniqueurs se sont élevés pour dénoncer une sanction trop clémente.
A la fin du match retour, à Sivas, son coéquipier, le Franco-Turc Ibrahim Dagasan, né à Angers, est allé planter un drapeau palestinien au milieu de la pelouse. "Un geste de paix, justifie l'intéressé. Toute la semaine, nous avions vu à la télévision les images de ces enfants morts à Gaza, tués sous les bombes. C'est seulement pour eux que j'ai fait ça." Mais, en voyant le drapeau, les supporteurs ont entonné : "A bas Israël ! Vive Balili !" D'un doigt sur les lèvres, Ibrahim les a fait taire.
"Je me suis bouché les oreilles. Je n'ai jamais voulu parler de cette guerre, témoigne Pini Balili. J'aimerais que la fraternité et la paix l'emportent, inch allah." L'Israélien a reçu ce drapeau palestinien planté par son copain d'entraînement comme une flèche en plein cœur. "Je l'ai très mal pris. Je ne comprenais pas pourquoi tu avais fait ça, dit-il en se tournant vers son équipier. Et puis nous en avons discuté dans le vestiaire et il n'y a aucun problème. Chacun est libre de penser ce qu'il veut." Le 14 janvier, le joueur israélien avait été contraint de publier un communiqué sur le site Internet de son club pour déclarer : "Je crie comme tout le monde non à la guerre. Il faut que cette effusion de sang s'arrête au plus vite (...). Certains me jugent coupable parce que je suis israélien."
Tour à tour hué puis acclamé, Balili parvient difficilement à rester neutre. Chaque soir, il téléphone à ses parents et à ses amis à Rishon, en Israël, pour prendre les nouvelles. "Mes amis me disent de faire attention ou me demandent toujours s'il n'y a pas trop de problèmes, sourit-il. Mais moi j'aime la Turquie, j'aime les Turcs et je veux rester ici." Hors des stades, de nombreuses manifestations hostiles à Israël et aux juifs continuent d'être organisées en Turquie. Des organisations caritatives islamistes, ouvertement pro-Hamas, ont diffusé un appel au boycottage des "compagnies juives". La communauté juive de Turquie s'inquiète face à la résurgence d'un sentiment antisémite dans le pays et à la confusion permanente entre juif et israélien.
A Sivas, ville de l'Anatolie profonde, recouverte de neige un tiers de l'année, où il vit depuis quatre ans, Balili est devenu une star locale. Ses buts décisifs, notamment contre les grandes équipes d'Istanbul, ont assis sa popularité. "Pour moi c'est le numéro un, clame Erdem Demircan en faisant de grands gestes tout en conduisant son taxi, entièrement décoré aux couleurs de Sivasspor. Peu importe qu'il soit musulman, arménien ou israélien, du moment qu'il porte le maillot de Sivas." Au guichet de la billetterie, les supporteurs aussi louent sa combativité et ses percées dans la défense adverse. "Lui, il est pas comme les autres juifs", dit naïvement Engin, un jeune d'une vingtaine d'années, le bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles. Encore buteur samedi 7 février, Pini Balili a de nouveau été acclamé par le stade, auquel il a répondu par un salut militaire.
Mais le joueur est fatigué d'être l'Israélien de service. Déjà, en 2007, la rumeur avait couru dans la presse turque qu'un match de Sivas avait été reporté parce qu'il était prévu le jour de la fête juive du Kippour et que Balili refusait de jouer... Quelques mois plus tard, le président Abdullah Gül l'avait invité à Ankara, pour participer au dîner organisé en l'honneur du président israélien Shimon Peres.
Après six années passées en Turquie, Balili veut devenir turc pour enfin devenir anonyme. La procédure devrait aboutir d'ici un mois. "Je me sens bien ici, je parle turc... Il faut vraiment vivre ici pour comprendre ce pays", constate-t-il. Dans les journaux, il pose avec le drapeau rouge frappé d'un croissant et d'une étoile. Comme le veut l'usage, il prendra aussi un prénom turc, Atakan, littéralement : le sang du père.


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