Polanski : Wanted and Desired : Au coeur du procès Polanski
Le Monde.fr/Jacques Mandelbaum
Depuis Le Couteau dans l'eau, premier long métrage réalisé en 1962 en Pologne, Roman Polanski n'a cessé de se pencher dans son oeuvre sur les abîmes de l'âme humaine, de guetter le surgissement et le dérèglement du mal au coeur de la normalité.
En 1977, enfin, inculpé pour relation sexuelle illégale avec une mineure, il fuit les Etats-Unis pour éviter la prison et s'installe à Londres, puis en France. Toujours sous le coup d'une condamnation sur le territoire américain, il n'y a pas remis les pieds depuis trente ans. C'est sur ce fait divers scabreux que revient, pour la première fois avec une aussi grande précision, la documentariste américaine Marina Zenovich. Le film est bien documenté, produit des archives rares et recueille le témoignage des principaux acteurs de l'affaire, depuis les avocats des deux parties jusqu'à l'assistant du procureur, en passant par la victime, les policiers, les journalistes ainsi que l'entourage du cinéaste. Seul ce dernier, qui a toujours refusé de s'exprimer sur ce sujet, manque à l'appel.
Cette absence ne nuit pas à la première qualité du film, à savoir qu'il expose clairement les faits sans céder à l'écueil du voyeurisme. En 1977, Polanski, âgé de 43 ans, fait une séance de photos avec Samantha Geimer, un modèle amateur de 13 ans, dans le cadre d'une commande passée par le magazine Vogue. La scène se déroule à Mulholland Drive, dans la maison de Jack Nicholson, alors absent, où Polanski prend de la drogue avec la jeune fille et a une relation sexuelle avec elle. La mère de Samantha, qui avait incité sa fille à se prêter à l'exercice, porte aussitôt plainte et le réalisateur est arrêté le 11 mars. Niant l'accusation de viol portée contre lui, il se reconnaît néanmoins coupable du détournement de mineur, cet aveu lui permettant d'obtenir, selon la procédure judiciaire anglo-saxonne, l'arrêt des poursuites et une condamnation proportionnelle à l'infraction reconnue.
Cette entente préalable entre les parties n'empêche pas le réalisateur de s'enfuir le 1er avril 1978, après un an de procédure. Cette attitude, incompréhensible, est jugée à l'époque scandaleuse, valant peu ou prou aveu de culpabilité.
Témoignages accablants
Le principal intérêt de ce documentaire consiste à en expliquer enfin la raison, en évitant aussi bien le jugement moral que l'apologie implicite du cinéaste. Il fait ainsi apparaître sur le devant de la scène une figure majeure et insoupçonnée de l'affaire : le juge Laurence J. Rittenband. Spécialiste des procédures sensationnelles mettant en cause le show-business, fréquentant de nombreuses stars du Tout-Hollywood, cet homme semble aussi en avoir adopté les travers, en se montrant par-dessus tout soucieux d'entretenir sa propre image.
Cette attitude va le conduire à rompre à plusieurs reprises l'accord tacite passé entre les parties pour éviter le procès. Rittenband navigue en vérité au gré des réactions des médias américains, qui s'accordent depuis le début de l'affaire à lyncher ce cinéaste aussi peu américain que possible. Ne l'avait-on pas déjà soupçonné, en vertu d'un fantasme obscène et sur la foi d'une oeuvre qui semble trahir un goût pervers pour la monstruosité, d'être un sataniste impliqué dans le meurtre de sa propre femme ? Le juge Rittenband trahit ainsi sa parole à plusieurs reprises, faisant miroiter une clôture du dossier qui ne viendra en fait jamais, et jouant avec Polanski, qu'il envoie en prison contre l'avis des experts, comme avec une proie.
Les témoignages portés aujourd'hui contre cet homme, mort depuis, sont accablants. Douglas Dalton, l'avocat de Polanski, et son adversaire Roger Gunson, l'assistant du procureur, accusent d'une même voix Rittenband d'avoir abusé de son autorité. Polanski, averti par son avocat de l'instabilité du juge qui entend le remettre en prison après une première sortie, préfère donc quitter les Etats-Unis sur-le-champ.
Depuis lors, en dépit de la destitution du juge sur ce dossier en 1978, puis du pardon public accordé en 1997 par Samantha Geimer lors de la nomination aux Oscars du Pianiste, l'affaire n'avait pas avancé d'un pouce. Elle rebondit aujourd'hui grâce à ce film, dont la réussite tient surtout à la manière dont il décale le regard porté sur cette affaire privée, pour révéler les vices cachés d'un système perverti par la loi du spectacle.