Portraits de Rodin : quand les modèles font la tête

AFP/Pascale MOLLARD-CHENEBENOIT

Le sculpteur Rodin a réalisé de nombreux portraits de commande mais ses modèles n'appréciaient pas toujours le résultat: Clemenceau était fâché, Anna de Noailles ne goûtait pas la forme de son nez, souligne le Musée Rodin qui met à l'honneur cet art très prisé à la fin du XIXe siècle.

Portraits de Rodin : quand les modèles font la tête
L'exposition "La fabrique du portrait, Rodin face à ses modèles", qui se tient jusqu'au 23 août à Paris, présente près de 120 pièces -croquis, photos, terres cuites, plâtres, marbres, bronzes- qui illustrent la démarche du sculpteur (1840-1917) et ses tâtonnements. Le musée a puisé essentiellement dans ses réserves pour conduire son propos.
"Ce n'est pas moi": Georges Clemenceau était fort mécontent de son buste réalisé en 1911 par Rodin, relève Aline Magnien, commissaire de l'exposition. L'homme politique "attendait un portrait d'empereur romain et le sculpteur lui a fait une tête à la Gengis Khan" le conquérant mongol, souligne-t-elle. Le musée présente sept têtes et bustes de celui qui devint "le Tigre" pendant la guerre de 1914-1918.
La comtesse de Noailles exprima elle aussi sa déception devant son buste, réalisé en 1906. Rodin avait insisté sur son nez, lui donnant une forme de bec d'oiseau de proie. "Tout votre divin génie est là mais non peut-être encore mon visage", écrivit délicatement la poétesse au sculpteur, en le priant de ne pas exposer cette oeuvre.
"Je n'ai jamais menti. Je n'ai jamais flatté mes contemporains. Mes bustes ont souvent déplu parce qu'ils furent toujours sincères", expliquait Rodin. "Ils ont certainement un mérite: la véracité. Qu'elle leur serve de beauté!", ajoutait-il.
Rodin entendait aller au-delà de la ressemblance physique pour s'approprier aussi les "traits moraux" du modèle. Afin d'incarner l'essence du sujet, le sculpteur jouait sur les matières et les échelles, à la recherche d'une "anatomie cérébrale".
Pour s'emparer du modèle, Rodin n'hésitait pas à tourner autour du sujet, à monter sur une chaise pour croquer le haut du crâne. Des techniques qui agaçaient parfois ses modèles. Le pape Benoît XV interrompit rapidement les séances de pose et le sculpteur dut travailler à partir de croquis et de photographies.
Pas facile non plus de faire un portrait de Victor Hugo, déjà très illustre lorsque Rodin entreprit son portrait en 1883. L'écrivain et homme politique était rétif aux séances de pose. Rodin dut se contenter de croquis pris à la volée, sur des feuilles de papier à cigarette.
Pour ses portraits posthumes, le sculpteur, qui avait besoin de modèles vivants "pour capter les muscles, la chair irriguée", se mettait en quête de sosies, indique Aline Magnien, conservatrice en chef au Musée. Pour la tête de Beaudelaire, il avait trouvé un dessinateur qui présentait le même front large, renflé aux tempes et tourmenté.
Ayant reçu commande pour l'édification d'un monument à Balzac, né à Tours, Rodin partit en quête d'un "type tourangeau" (bien que la famille du romancier fût originaire du sud-ouest...). Un conducteur de diligence fit l'affaire.
Au total, Rodin a réalisé une centaine de bustes et portraits, dont plusieurs ont donné lieu à de multiples travaux préparatoires ou à des variantes. C'était le "pot-au-feu" du sculpteur, selon un critique de l'époque. Mais pas seulement, comme le prouve l'exposition.
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(Exposition jusqu'au 23 août. www.musee-rodin.fr. Catalogue Skira Flammarion 168 pages, 170 illustrations couleur, 29,90 euros)


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