Questions sur la présence en France d'un ex-cadre d'un groupe salafiste syrien

AFP

Paris - Ancien haut responsable d'un groupe salafiste syrien, il a été mis en examen en France puis écroué fin janvier. Reste une question: comment Majdi Mustafa Nema, alias Islam Allouche, a-t-il obtenu un visa pour la France ?

Qu'est-ce qui a permis à un homme, accusé depuis par la justice française d'"actes de torture et complicité", "crimes de guerre" et "complicité de disparitions forcées", de s'inscrire dans un institut de recherche français avec le programme "Erasmus Plus" et un visa en règle ?

Le point sur une affaire pleine de zones d'ombre.

Né en 1988, capitaine des Forces armées syriennes dont il a fait défection, il est devenu porte-parole du groupe islamiste Jaich al-Islam (Armée de l'Islam).

Il avait annoncé en juin 2017 qu'il démissionnait et reprenait son vrai nom. Le groupe a réclamé samedi dernier sa libération, affirmant avoir rompu tout lien avec lui.

Jaich al-Islam était l'un des plus importants groupes de l'opposition au régime de Bachar al-Assad dans la région de Damas, notamment la Ghouta orientale, après le début de la guerre en 2011. Il a participé aux pourparlers de Genève entamés en 2015, qui se sont soldés par un échec.

"Ce groupe contrôlait les checkpoints par où passait l'aide humanitaire pour la Ghouta et prélevait ses taxes au passage", a expliqué à l'AFP Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie à l'Université de Lyon 2.

Le compte Facebook du Syrien mentionne qu'il est passé par l'université hongroise ELTE à Budapest en 2018 puis a été diplômé de l'université Aydin d'Istanbul en Sciences politiques et relations internationales.

Son but, "c'est de se recycler et de devenir un agent d'influence avec un background universitaire pour être plus crédible", estime Fabrice Balanche.

Selon une source judiciaire, Majdi Mustafa Nema (Nameh selon certaines orthographes) était en France depuis novembre 2019.

Il était enregistré comme étudiant à l'Institut de recherche sur le monde arabe et musulman (Iremam) de l'Université Aix Marseille (sud-est de la France), qui relève du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Il avait obtenu auprès du consulat de France à Istanbul un "visa court séjour délivré sur la base d'un dossier complet, après interrogation des services ministériels compétents", a indiqué jeudi le ministère français des Affaires étrangères. Ce genre de visas Schengen est valable 90 jours.

Selon une source proche du dossier, il était "inconnu des services du ministère de l'Intérieur" et disposait de neuf identités différentes.

L'Iremam a indiqué que le Syrien était venu dans le cadre du programme européen "Erasmus Plus". Sollicité par l'AFP, Erasmus n'a fait aucun commentaire.

Après les printemps arabes, "des centaines de jeunes activistes de ces pays ont reconverti le capital politique acquis dans leurs années militantes dans des projets d'études ou de recherche en sciences sociales", a expliqué à l'AFP Richard Jacquemond, directeur de l'Iremam, ajoutant qu'il ne connaissait pas le passé de M. Nema.

Lorsqu'un candidat obtient un visa, "je considère que les services consulaires ont fait leur travail et qu'il est persona grata", a-t-il ajouté, soulignant qu'il s'agit souvent de "profils très intéressants parce qu'ils peuvent nous apporter une connaissance de première main".

Mais Chris Doyle, directeur du Council for Arab British Understanding (Caabu) à Londres, relève que le Syrien s'était vu refuser l'entrée d'une grande université britannique et s'étonne de l'absence en France des vérifications d'usage.

"Combien de personnes comme lui essayent (...) d'entrer dans l'Union européenne et de commencer une nouvelle vie d'universitaires, malgré un passé opaque sur ce qu'ils ont fait au front?", s'est-il interrogé, joint par l'AFP.

L'ex-porte-parole est notamment soupçonné de l'enlèvement le 9 décembre 2013 de l'avocate et journaliste syrienne Razan Zeitouneh, son mari Waël Hamada et deux de ses collaborateurs. Aucun n'a été retrouvé depuis.

En juin dernier, une plainte accusant des membres de Jaich al-Islam d'avoir notamment commis des "actes de torture" et des "crimes contre l'humanité et crimes de guerre" dans la Ghouta avait été déposée.

L'initiative avait été notamment portée par la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), la Ligue des droits de l'Homme (LDH) et le Centre syrien des médias(SCM).

Leur travail a permis d'établir un organigramme de Jaich al-Islam, a expliqué à l'AFP Clémence Bectarte, avocate de la FIDH. L'ONG a signalé le 10 janvier sa présence à la justice. "C'est pour le moins surprenant" qu'un tel individu ait obtenu un visa, a-t-elle noté.


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