Robert Crumb, le "pape" de l'underground s'empare de "La Genèse"
AFP
Paris - Après les femmes, les drogues et la musique, qu'est-ce qui pouvait encore inspirer le grand dessinateur américain Robert Crumb? Dieu bien sûr, et la Bible, dont il publie une version illustrée fidèle et "déchristianisée", loin des folies de sa jeunesse.
Robert Crumb
Et pas du tout! La "Genèse" de Crumb est au contraire extrêmement fidèle, une adaptation à la virgule près, documentée, bourrée de détails, un retour au texte débarrassé de toute vision moralisatrice.
A 66 ans, Crumb, qui a affolé la BD des années 1960-70 avec "Fritz the cat", "Mr Natural", du sexe et du shit dans toutes les cases, serait-il devenu raisonnable ? Au contraire, le dessinateur en costume gris, épaisses lunettes, une touche de rose sur la cravate, explique lundi devant la presse qu'il a "vu Dieu dans un rêve". L'idée d'adapter "La Genèse" lui est venue de la vision de ce patriarche à longue barbe blanche qu'il a représenté dans l'album.
Un volume de 220 pages en noir et blanc qui lui a pris quatre ans de travail et doit sortir quasi simultanément fin octobre dans dix pays d'Europe, au Brésil et aux Etats-Unis.
"J'ai évité de mettre des scènes de sexe explicites", explique-t-il, sans savoir si "les vrais croyants" adhèreront à son travail. "Des millions de gens au cours de siècles ont pris ça si sérieusement, c'est complètement fou. En même temps, c'est si profond dans notre culture", dit-il.
Le livre égraine les 50 chapitres de la Genèse, "Adam et Eve", "Caïn et Abel"... avec un souci du détail qui l'a poussé à refaire "trois ou quatre fois" certaines scènes.
Elevé dans la religion catholique, Robert Crumb affirme pourtant ne rien avoir tiré de cette plongée dans la Bible pour sa quête personnelle.
Installé dans le sud de la France depuis près de vingt ans, il a rompu avec les délires psychédéliques pour se consacrer à son travail. Pas de regret de ces années de défonce, sinon le constat qu'à ce jeu risqué "on risque de foutre en l'air les cellules de son cerveau".
Après 50 ans de carrière, il s'étonne d'être l'un des rares dessinateurs de BD exposés dans les galeries et musées d'art contemporain.
"Ils essaient de me récupérer, mais il y a un immense fossé entre nous. Les comics sont faits pour être imprimés, pour être lus, pas pour être accrochés au mur", explique-t-il, en regrettant qu'on le prenne parfois trop au sérieux : "Mais quand on vous prend au sérieux, vous êtes mieux payés".
Il s'amuse des "trois millions de dollars" qu'on lui aurait proposés pour l'ensemble des 200 planches originales de sa "Genèse": "Trois millions, quatre, cinq, qui dit mieux?", lance-t-il comme dans une vente aux enchères.
Revenu des drogues, des femmes aux poitrines démentielles, et même de la Bible, ce libertaire exigeant a voté "pour la première fois" de sa vie en 2008 pour faire élire Barack Obama, parce que c'est "quelqu'un de fondamentalement bien". Le "pape" de la BD garde espoir dans l'avenir.
("La Genèse" par Robert Crumb - Denoël Graphic - 220 p. - 29 euros - Sortie en France le 22 octobre)