Sarkozy et la crise

lepoint.fr/Claude Imbert

Cette rupture-là n'était pas au programme : rupture de la crise venue d'ailleurs et qui, de ses coups de massue, fracture le quinquennat Sarkozy !

Sarkozy et la crise
Pour le sixième président de la Ve République française, une étape s'achève née dans l'euphorie de l'élection, dans l'affairement des chantiers de réformes, dans l'affichage avantageux de sa présidence européenne. Car patatras, voici la tempête ! Sarkozy s'affairait contre la rouille pour sortir la France de son radoub. Désormais, il affronte le cyclone : à domicile, le chômage et la récession. Vient l'heure d'un bilan d'étape.

D'abord, le crépitement des réformes, leur profusion sans « suivi » explicite laissèrent l'opinion perplexe entre l'approbation de l'action et les déceptions de la manière. Puis, sous le vrac, on aura vu se profiler une nation enfin secouée et réveillée. La crise peut, hélas, la tétaniser : le drapeau noir planté sur les marmites présage un avenir orageux avec jeunesse en boule et gauchistes en pétard...

L'opinion, pourtant, sait encore gré à Sarkozy d'avoir abordé les deux crises-la financière, puis l'économique-avec une énergie inventive. L'épreuve aura servi ses talents. Il fut dans l'urgence le moins manchot des caciques d'Occident.

Dans l'imprévu, « un Etat qui n'a pas quelques improvisateurs en réserve est un Etat sans nerfs » (1). L'improvisation sied à Sarkozy. De tempérament bonapartiste, il se convainc sans peine qu'on « ne tord pas les événements au système mais qu'il faut plier le système à l'imprévu des événements ». Libéral, mais adepte au coup par coup du colbertisme national, il se sera coulé, sans vapeurs, dans les recours obligés à l'Etat. Grand cinétique, il est dans le mouvement comme poisson dans l'eau. Son sans-gêne démocrate, son goût pour le « dégagé » et le « déballé », son dédain des conventions militent pour une volonté forcenée tantôt servie, tantôt gâtée par l'ostentation. Il empoigne la crise comme s'il venait d'être élu pour l'affronter.

Bien avant qu'elle nous tombe dessus, Sarkozy avait renoncé à l'exhibition de sa vie privée, à des impudences incongrues. Sa méthode y gagne en lisibilité. Si perdure un certain galimatias de l'action, c'est qu'il consent un soin médiatique discutable au subalterne, au fait-diversier. Le vrai chef, dit la sagesse antique, ne s'occupe pas de vétilles. Or le « trop » encombre encore le verbe et les façons du président. Mais, dans la gravité de la crise, il aura montré qu'il voyait juste, vite et loin.

A l'intérieur, je me réjouis, quant à moi, de voir confirmées les réformes trop harcelées de l'audiovisuel et du travail dominical. Les 35 heures, non démantelées mais contournées, les régimes de retraite, la durée du travail, le service minimum, une politique d'intégration peu à peu cohérente, la réforme constitutionnelle, celle des armées complètent, avec des fortunes diverses, l'ingrat remue-ménage imposé aux corporatismes judiciaire et enseignant. Les couacs, très audibles depuis que le concert gouvernemental se donne en plein air, ne devraient pas nous rendre sourds à une tonalité retrouvée : celle de la volonté.

Elle peut faire des miracles. Quand l'Amérique de Bush vacillait au bord de ses gouffres bancaires, Sarkozy a fait de sa présidence un tremplin pour l'Europe. Comment ? En galopant de Moscou à Washington, en chatouillant les vestales de Bruxelles, en bousculant les traîne-patins et les irrésolus. Il s'improvise, en vingt-quatre heures, médiateur du conflit géorgien. Il invente, faute de mieux, un G4 européen puis inspire un G20 mondial où la Chine et l'Inde s'intronisent. En dépit des agaceries d'Angela Merkel, il fait exister une Europe inaudible. Enfin, il arrache au forceps d'un continent aux ressources énergétiques disparates un accord sur le processus climat-énergie.

Acrobatique succès de la volonté politique sur le formalisme institutionnel ! Le toupet devient de l'audace et la témérité du courage... L'Allemagne grince, l'Angleterre s'épanouit, la Russie se gratte le menton, mais l'Europe bouge ! Elle se traîne encore. Certes ! Mais rit de s'être vue plus belle dans le miroir de la crise.

Quel avenir pour cette embellie ? Quelle durée pour la crise ? L'Europe sous la présidence eurosceptique des Tchèques conservera-t-elle un élan inattendu ? Peu probable ! Mais si ce n'est celle des 27, du moins l'Europe des 4 ou des 6 cherchera quelques cheminements nouveaux dans la nostalgie de ce fugace bonheur. Il ne faut ni le sous-estimer ni le surestimer : la France y aura brillé au-dessus de sa condition.

1. Paul Valéry


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