"Témoin indésirable" : couvrir le conflit armé en Colombie au péril de sa vie

AFP/Rébecca FRASQUET

Le documentaire "Témoin indésirable" qui sort mercredi dans les salles, brosse le portrait de Hollman Morris, un journaliste qui risque sa vie pour donner la parole aux milliers de victimes des violences armées qui ensanglantent son pays, la Colombie.

Sélectionné par les festivals de Toronto, Rotterdam et Locarno, ce film de Juan José Lozano suit le travail quotidien de Morris, qui a reçu en 2007 le Prix Human Rights Watch et le Prix FNPI-CEMEX, remis par l'écrivain Gabriel Garcia Marquez.
Il produit et présente l'émission télévisée "Contravia", pour l'heure suspendue faute de financement, sur la chaîne publique colombienne Canal Uno.
Morris couvre inlassablement, selon sa formule, "l'un de ces conflits interminables qui ne font recette ni auprès des médias, ni auprès des pouvoirs publics, et finissent par tomber dans l'oubli".
"Témoin indésirable" le montre partir en reportage, parfois en hélicoptère ou en canot pneumatique, pour atteindre des régions reculées où sa caméra n'est pas la bienvenue, au risque d'être pris pour cible.
Là, il donne la parole aux Colombiens les plus démunis, notamment des paysans chassés par l'armée de leurs champs de coca et livrés à la faim.
"Un million de paysans vivent de la coca, grâce à elle ils donnent à manger à leurs enfants: comment peut-on les appeler des terroristes?", demande Morris, dans un entretien à l'AFP.
"Au lieu de leur fournir une alternative, le gouvernement les persécute". "La guerre contre la drogue menée par le gouvernement depuis 1999 est stupide et inefficace. Il suffit de voir les chiffres : la culture de la coca et le trafic n'ont cessé d'augmenter", affirme-t-il.
Morris enquête aussi sur les victimes de la terreur exercée par la guérilla ou les milices paramilitaires, recueillant la parole des familles et filmant l'exhumation des corps, lorsqu'une fosse commune est localisée.
La rançon de ce travail d'investigation pour Morris ? Menaces de mort, gardes du corps, et des enfants qui vont à l'école en voiture blindée.
Quelque 2.000 cadavres de victimes présumées des groupes paramilitaires ont été exhumés en Colombie dans le cadre de la loi "Justice et Paix", qui offre des amnisties partielles aux ex-paramilitaires s'ils avouent leurs crimes.
"Ils doivent confesser les délits liés au trafic de drogue, mais rien ne les oblige à avouer les milliers de meurtres, qui resteront impunis. Chez nous, on dit que cette vérité a été extradée aux Etats-Unis", où se sont réfugiés les criminels présumés, se désole Hollman Morris.
S'ils rapportent volontiers les violences commises par les groupes d'extrême-gauche comme les Farc, les médias colombiens restent discrets sur celles exercées par des paramilitaires très liés au pouvoir, dit le film.
Une trentaine de membres actuels ou passés du Congrès ont déjà emprisonnés pour leurs liens avec des milices qui ont pris le contrôle de pans entiers du territoire, chassant de leurs terres des dizaines de milliers de paysans, avec la bienveillance de certaines autorités locales et d'officiers de l'armée.
Officiellement, ces milices auraient tué quelque 9.000 Colombiens depuis la fin des années 1980, mais la Commission nationale de réparation et de réconciliation a recensé 70.000 plaintes.
Plusieurs fois contraint à l'exil par des menaces de mort, Morris a renoncé en février à tourner avec Lozano le film "Impunity", après avoir été accusé par le président colombien Alvaro Uribe, d'être "complice du terrorisme".


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