Terrorisme : le triangle de feu
Le Point.fr/Claude Imbert
Vécu en Inde comme un autre 11 Septembre, le massacre de Bombay dispense de fortes leçons. D'abord que le fanatisme, s'il infecte une vaste religion, devient une très longue maladie. Il confirme ensuite la prétention missionnaire de l'islamisme.
Les religions, qui aident à vivre, sont aussi les plus grandes massacreuses de l'Histoire. Les trois religions d'un même Dieu unique-la juive, la chrétienne, l'islamique-n'ont cessé de déchaîner contre l'« infidèle » (l'autre) une agressivité fratricide. Entre chrétiens-catholiques contre protestants-, les carnages ont décimé notre propre passé. Au sein même de l'Islam, le conflit récurrent entre chiites et sunnites continue d'ensanglanter le Proche et le Moyen-Orient.
C'est une évidence qu'on ne peut ni ne doit confondre l'islam de centaines de millions de fidèles pacifiques avec sa déviance terroriste. Mais c'en est une autre que dans le vivier islamique s'opère le recrutement de soldats égarés.
En Europe, la guerre intestine de l'Irlande chrétienne vient à peine de s'apaiser. Dans la Bosnie de l'après-titisme, tous les combattants ne portaient pas le ceinturon germanique du Gott mit uns (Dieu avec nous), mais la même certitude armait leurs bras.
La déviance terroriste donne sa caution divine à des conflits très humains. Elle sacralise la lutte des musulmans contre les hindouistes dans la péninsule indienne. Elle confie l'étendard du Prophète aux Palestiniens radicaux du Hamas. Elle fermente sur les misères. En Indonésie, en Afrique, elle épouse des clivages ethniques que l'ère coloniale a maintenus ou durcis. Un peu partout, elle revigore l'hydre aux mille têtes d'Al-Qaeda dans son aversion de l'Occident, de ses pompes et de ses oeuvres.
Au fil des temps, la prétention messianique du terrorisme islamiste ne se dément pas. Pourtant, ni le coup de tonnerre qui ébranla à New York les tours du Grand Satan ni les attentats meurtriers de Madrid et de Londres n'ont fait peser sur l'Occident le sentiment d'une menace cohérente, pressante, durable. Au contraire, les Etats islamiques ont peu à peu récusé ou combattu, avec de plus en plus de fermeté, le terrorisme. Pour Al-Qaeda, un échec avéré !
Sans se décourager, la mouvance terroriste se concentre désormais sur trois sites.
Le premier est l'Afghanistan, berceau d'Al-Qaeda, temple mythique et mystique du djihad. Elle y réveille, avec les talibans, l'espoir d'attirer l'Occident dans un enlisement sans fin.
Le deuxième est le Pakistan. L'attentat de Bombay exacerbe l'hostilité endémique avec l'Inde. L'opération tactique, menée cette fois par un commando très militaire, était d'envergure : elle visait à précipiter les troupes pakistanaises à la frontière indienne pour dégager de leurs pressions les zones-refuges de la frontière afghane. Ali Zardari, nouveau président d'un Pakistan malade, fiévreux et fragile, peut-il éradiquer de ses services très spéciaux, véritable Etat dans l'Etat, les puissantes factions liées au terrorisme ? On en doute. La Libye, enfin « retournée », nous a « déballé » le double jeu pakistanais et les secrets technologiques livrés en son temps par le Pakistan nucléaire. Aujourd'hui, un Pakistan moderniste engage la partie contre un terrorisme modernisé. Les dés roulent dans l'ombre...
Le troisième site est l'Iran. Son président a dit un jour à Kofi Annan que, « si les Etats-Unis avaient gagné la dernière guerre mondiale, l'Iran remporterait la prochaine ». Une de ces rodomontades qui déconsidèrent, en Iran même, Ahmadinejad. Hélas, il n'est pas seul dans sa théocratie pour afficher, avec l'acquisition d'un potentiel nucléaire, sa confiance dans une renaissance islamiste sous direction perse.
Le foyer israélo-palestinien continue de jeter ses brandons sur le ressentiment arabe. Mais le vortex de la nébuleuse terroriste se concentre désormais dans un triangle de cauchemar : Kaboul, Islamabad, Téhéran. Or l'Afghanistan est en guerre larvée ; le Pakistan est doté de la bombe nucléaire ; l'Iran y aspire. Comment les diplomates et stratèges d'un Occident enfoncé dans sa crise économique saisiront-ils ce triangle ? Il est incandescent. Pour Obama, c'est l'épreuve du feu !