Tunisie: les islamistes au pouvoir confrontés à la pression salafiste
AFP
Tunis - Face aux pressions de plus en plus fortes de la mouvance salafiste, le parti islamiste Ennahda, qui domine le gouvernement tunisien, va devoir rapidement sortir de l'ambiguité vis à vis de sa base radicale, estiment des analystes.
Accusé d'inertie depuis sa prise de fonction le 23 décembre, le gouvernement de l'islamiste Hamadi Jebali a adopté ces derniers jours un ton plus ferme et son parti Ennahda a pris des positions inhabituellement claires.
Mardi, les autorités sont intervenues pour faire lever le sit in de partisans du niqab (voile islamique intégral) qui entravait depuis deux mois le fonctionnement de la faculté de lettres de la Manouba, près de Tunis.
La veille, Ennahda avait publié un communiqué sans précédent pour affirmer son attachement à la liberté d'expression et se désolidariser des poursuites judiciaires contre Nessma TV dans l'affaire Persepolis.
Et dans un discours devant l'Assemblée nationale constituante, le Premier ministre a assuré sa détermination "à faire appliquer la loi" et a dénoncé les agressions contre des journalistes survenues lors d'une manifestation anti-Nessma.
"Le gouvernement est acculé. De mon point de vue, la confrontation est imminente entre les +islamistes modérés+ d'Ennahda et les radicaux salafistes", estime le journaliste Ali Laïdi Ben Mansour, rédacteur en chef à Nessma et au site webmanagercenter.
"Jusqu'à présent les salafistes, qui sont certes une minorité mais qui sont capables de mobiliser et d'agir, ont su profiter des hésitations du gouvernement. Mais je pense qu'Ennahda n'a pas intérêt à avoir ce boulet aux pieds", déclare-t-il à l'AFP.
Un boulet qui met au grand jour les contradictions d'Ennahda, "tiraillé entre faucons et colombes", souligne-t-il.
Composés d'un noyau pur et dur d'environ 200 personnes, les salafistes ont entre 5 et 7000 sympathisants, selon les estimations.
"Il y a parmi eux de vrais salafistes et d'autres manipulés et instrumentalisés, notamment par les anciens du RCD (parti dissous de Ben Ali). Mais il n'empêche qu'une grande partie de la base d'Ennahda est proche de cette doctrine", souligne le chercheur Alaya Allani, spécialiste des mouvements islamistes au Maghreb.
Du coup, le parti islamiste tunisien "se trouve dans une situation très difficile. Il ne voulait pas entrer en guerre avec les salafistes, car il ne veut pas perdre cette base avant les prochaines élections. Mais il ne va plus pouvoir jouer trop longtemps sur l'ambiguité", estime le chercheur.
L'"exercice d'équilibriste" d'un parti qui a tenté de "ménager la chèvre et le chou" ne va pas pouvoir se prolonger, estime également le site tunisien Businessnews dans un article en une mercredi.
Pour l'avocat Slah Ourimi, membre de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, les signaux envoyés par le gouvernement et Ennahda sont encore "trop timides" face aux radicaux d'extrême droite qui "lancent des ballons d'essai et "testent" la société tunisienne.
"Des étudiants agressés, des journalistes tabassés, des examens perturbés: ce qui se passe est très grave et très dangereux. Le gouvernement a fait des petits pas ces derniers jours. Mais nous voulons une position claire, tranchée et que le gouvernement se démarque totalement de ces groupes radicaux qui sont contre la république et contre la démocratie", demande-t-il.