Turquie: accueilli par ses partisans, Erdogan ferme face aux manifestants
AFP
Istanbul - Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan devait rentrer tard jeudi soir en Turquie, accueilli en héros par ses partisans, alors que dizaines de milliers de manifestants continuaient à réclamer sa démission au septième jour d'une contestation qui a enflammé le pays.
Avec cette première mobilisation massive en faveur du gouvernement, la crise a tourné au bras de fer entre les partisans et les adversaires de M. Erdogan.
Au moment-même où il était attendu à l'aéroport d'Istanbul, plusieurs dizaines de milliers de manifestants étaient toujours réunis sur l'emblématique place Taksim, à une vingtaine de kilomètres de là, aux cris de "Tayyip, démission!"
Quelques heures avant d'achever sa tournée de trois jours au Maghreb, M. Erdogan a répété à Tunis son refus de céder aux protestataires en excluant de revenir sur le projet d'aménagement de la place Taksim d'Istanbul, à l'origine de la fronde.
"Nous mènerons ce projet à son terme (...) nous ne permettrons pas à une minorité de dicter sa loi à la majorité", a-t-il assuré.
Comme il l'a déjà fait, M. Erdogan a aussi dénoncé la présence d'"extrémistes", certains "impliqués dans le terrorisme" parmi les protestataires. Une allusion au groupe d'extrême gauche turc DHKP-C (Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple) qui a revendiqué un attentat en février contre l'ambassade des Etats-Unis à Ankara.
Les Etats-Unis ont dénoncé cette "rhétorique inutile" du chef du gouvernement turc qui, a déclaré la porte-parole du département d'Etat Jennifer Psaki, "ne contribue pas à apaiser la situation" dans le pays.
Signe de la nervosité des marchés, la Bourse d'Istanbul a chuté de 4,70% à la clôture.
L'intransigeance manifestée par M. Erdogan a alimenté la colère des manifestants, qui dénoncent sa dérive autoritaire et sa volonté d'islamiser la société turque.
Colère
"Nous sommes en colère, il ne veut pas écouter", a indiqué à l'AFP Senay Durmus, une biologiste de 25 ans, "je reviendrai à Taksim jusqu'à notre victoire". "Il ne veut rien changer mais on va le contraindre à le faire. Je ne sais pas quand, mais il changera", a assuré un autre manifestant, Mersad Jahed.
Signe de la tension qui monte, des incidents ont été signalés mercredi à Rize, sur les bords de la mer Noire (nord-est), entre des contestataires et des partisans de l'AKP.
Les défenseurs de M. Erdogan sont jusque-là restés discrets, mais le Premier ministre s'est targué à plusieurs reprises du soutien d'une large partie de la population - l'AKP a obtenu 50% des suffrages aux législatives de 2011 - et a donné rendez-vous à ses adversaires aux élections locales de 2014 pour exprimer leurs doléances.
Samedi, M. Erdogan lui-même avait pourtant agité ce scénario. "S'ils veulent organiser des rassemblements, si c'est un mouvement social, et bien quand ils réuniront 20 personnes, j'en réunirai 200.000", avait-il averti, "et quand ils seront 100.000, je mobiliserai un million de membres de mon parti".
"Ses partisans sont des moutons", a commenté une manifestante, Ezgi Ozbilgin. "Si Erdogan leur dit de se battre, ils le feront", a ajouté cette enseignante de 24 ans qui dit craindre la suite des événements.
Sept étrangers "impliqués dans les troubles" ont été interpellés en Turquie, a par ailleurs indiqué jeudi le chef du gouvernement, sans fournir d'autres détails.
Son ministre de l'Intérieur, Muammer Güler, a précisé ultérieurement que deux de ces sept personnes - deux Français, deux Iraniens, un Grec, un Allemand et un Américain - avaient été remises en liberté.
A Adana (sud), un policier a succombé à ses blessures après être tombé d'un pont mercredi en poursuivant des manifestants, a annoncé jeudi la chaîne de télévision privée NTV. Il s'agit du premier mort dans les rangs de la police depuis le début, le 31 mai, de la contestation, qui a aussi fait deux morts chez les manifestants.
Outre les trois morts, 4.355 personnes ont été blessées en une semaine, dont 47 très grièvement, a déclaré jeudi le syndicat des médecins turcs. Le dernier bilan officiel faisait état de "plus de 300" blessés seulement.